Si l’on doit donc retenir quelque chose de ce que l’on a vu de la philosophie, c’est qu’elle constitue finalement moins une activité qu’une attitude. En effet, si elle utilise les exigences de rationalité que l’on trouve aussi mises en oeuvre en science, elle demande en revanche une posture de l’esprit un peu particulière, celle du perpétuel étonnement et de la mise en doute systématique. Il ne faut pas pour autant voir en le philosophe un personnage éternellement suspicieux, mieux vaut le voir comme un enfant pour lequel rien ne va de soi et qui cherche sans cesse à comprendre des choses qui sont parfaitement naturelles aux yeux de tous les adultes. Aussi peut-on se dire que c’est l’étonnement qui qualifie le mieux l’entrée en philosophie.
Mais si le philosophe revêt l’apparence d’un enfant, il n’en est pas moins un adulte au sens où il est celui qui doit aussi être capable de s’attendre au pire.
« Défiez-vous des métaphysiques douceâtres. Une philosophie où l’on entend pas bruire à travers les pages les pleurs, les gémissements, les grincements de dents et le cliquetis formidable du meurtre réciproque et universel n’est pas une philosophie. »
Schopenhauer – Contre la philosophie universitaire
On peut trouver Schopenhauer sinistre et excessif, il n’en reste pas moins que si la philosophie veut être honnête, elle doit être prête à annoncer le pire si c’est le pire qui s’avère vrai. Il ne faut pas oublier que l’étonnement n’est pas une simple admiration et qu’il contient nécessairement aussi de l’inquiétude et de l’effroi devant ce monde. Pour autant, la philosophie garde comme objectif la vie rendue meilleure par la réflexion et elle peut même devenir ce que Deleuze appelle une « philosophie de combat », ne se contentant pas d’émettre des raisonnements abstraits mais proposant de nouveaux styles de vie. Elle a donc un rôle à jouer dans l’existence car il s’agit bien de trouver de nouvelles voies pour la créer. Si on veut aller dans ce sens, alors on peut se dire que le philosophe n’est pas celui qui pense comme les autres (on s’en sera aperçu…), ce n’est pas non plus celui qui pense contre les autres (ce qui serait une attitude de pure vanité) mais c’est celui qui pense à côté des autres. Il est dès lors peu étonnant de voir le philosophe fréquemment incompris : à vouloir être décalé par rapport au point de vue habituel que l’on peut avoir sur l’existence, on peut le soupçonner de ne pas y être engagé. Mais c’est peut-être précisément de nouveau une illusion d’optique qui produit cet effet, et il est possible de voir le philosophe comme un éclaireur de l’existence, parti en avant repérer les voies praticables ; c’est un poste par définition solitaire, mais c’est aussi loin d’être un poste égoïste.
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