Regarder « un chien andalou », court métrage de Luis Bunuel et Salvadore Dali, c’est être confronté à une suite de séquences qui, tout en étant figuratives, échappent néanmoins à la compréhension. On a dès lors fréquemment comparé ce court métrage à une mise en scène onirique procurant l’effet que provoquent classiquement les rêves. Une telle comparaison peut s’entendre de deux manières différentes : ou bien on considère que comme les rêves, ce film n’est qu’une accumulation d’images sans lien les unes avec les autres, et qu’il ne faut y chercher aucun sens ni aucune intelligence, ou bien on affirme au contraire que derrière le désordre apparent existe un « ordre » des images, qui nécessiterait une traduction pour être compris. Il se trouve que concernant les rêves comme pour l’ensemble des discours délirants, ces deux affirmations peuvent êtres tenues : on peut aussi bien les voir comme un pur désordre, un chaos total, ou bien comme l’expression codée de quelque chose de tellement essentiel qu’on ne pourrait pas l’exprimer clairement. C’est ainsi par exemple qu’on peut concevoir le rêve tantôt comme l’expression de nos pires instincts, tantôt comme l’intermédiaire qu’utilisent les dieux pour inspirer leur parole aux prophètes. On peut donc se demander si l’intelligence a un rôle dans le rêve. Mais poser la question ainsi empêcherait d’y répondre. Il va falloir d’abord se demander de quelle intelligence nous parlons. En effet, si on limite l’intelligence au simple fait de tenir des discours rationnels et logiques, il est peu probable qu’on puisse voir dans le rêve l’expression de l’intelligence. Par contre, on pourra concevoir l’intelligence comme une puissance d’interprétation qui nous permettrait de discerner du sens là où précisément ce sens semble absent, ou brouillé. Si nous allons dans cette direction alors il faudra se demander si l’intelligence est à l’oeuvre avant le rêve, permettant ainsi son encodage et nécessitant ensuite le décodage intelligent du récit onirique, ou si on doit considérer que le seul moment où l’intelligence intervient est « l’après », créant du sens là où il n’y en avait peut être absolument pas, ce qui nous contraint, finalement, à émettre l’éventualité que l’intelligence soit un outil tout à fait déplacé pour étudier le rêve.
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