Socrate, première rencontre.

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Mois de Septembre, mois de découverte pour tout élève en terminale (pour peu qu’il ne soit pas en bac pro) puisqu’il est confronté à ce qu’on appelera une discipline, plutôt qu’une matière : la philosophie. Légère inquiétude puisque le travail effectué pendant l’année sera évalué par un examen, parfois avec un coefficient imposant; éventuel enthousiasme néanmoins puisque c’est une discipline toute nouvelle, qui donne enfin l’occasion de commencer l’année sans faire déjà partie des « mauvais ».

Pour tout équipement, on dispose simplement du professeur, des classiques papiers/crayons, d’un manuel (peut être), et d’un cerveau. Bonne nouvelle : la philosophie ne nécessite pas un investissement économique coûteux, ne se pratique pas dans un laboratoire lourdement équipé, ne réclame ni outils, ni vêtements particuliers (le port de la toge n’est pas obligatoire), ni matériel informatique de pointe. Cependant, après quelques heures de découverte de ce nouvel univers, on peut avoir repéré ceci : si la philosophie se pratique essentiellement dans son for intérieur, dans le recueillement de sa propre pensée se prenant elle même pour objet, autrement dit seul, elle n’en demeure pas moins une pratique qu’on hésite à appeler « communautaire », tant on aimerait pouvoir affirmer que la communauté qu’elle réunit s’assimile à l’humanité même. Mais le problème avec l’humanité, c’est qu’elle ne se rencontre avec un certain intérêt qu’à travers les individus qui la composent. Alors, aussi universels soient les écrits des philosophes, on ne les rencontre qu’un par un, soi-même une personne rencontrant une autre personne, à travers l’espace quand il s’agit de lire nos contemporains, ou à travers le temps lorsqu’il s’agit de dialoguer intemporellement avec ceux qui dans ce même monde, mais à d’autres époques, ont éprouvé les mêmes inquiétudes, se sont posé les mêmes questions.

La mort de Socrate - J.L. David 1878A distance, Socrate nous a appris que penser, c’est dialoguer avec soi même. Dans sa manière de ne pratiquer la philosophie que dans la tension avec autrui, à travers le dialogue, il nous a aussi appris à quel point la confrontation honnête avec autrui nous aide dans notre propre réflexion intérieure. Socrate avait de la chance, il vivait dans un monde où on pouvait, si on en avait le courage, se poser dans la rue et parler avec ceux que l’aventure intéressait. Il le pouvait car les grecs qui lui étaient contemporains laissaient dans leur vie une part importante à ce que nous appellerions aujourd’hui le « loisir » (à ceci près que pour eux, le loisir consistait moins à se poser devant un spectacle divertissant qu’au contraire à concentrer leur attention sur des questions spirituelles, sans lien avec l’activité marchande assurant la survie). Il le pouvait aussi car Athènes était une cité ouverte aux idées nouvelles, perméable aux discours novateurs, accueillante pour ceux qui appréciaient les expériences de pensée. Il paraît difficile aujourd’hui d’oser aborder un militaire en patrouille pour lui demander ce qu’est le courage, ou d’interrompre le cours sans doute intense de la vie d’un publicitaire pour lui demander un cours de rhétorique. Tout juste oserait on demander quelques instants de la vie d’un universitaire pour obtenir un avis éclairé sur ce qu’est, finalement, la philosophie.

Restent ces balises fiables que sont les livres. Si Socrate a répugné à écrire, préférant la pensée vivante sous la forme du dialogue, son disciple Platon lui fut à moitié fidèle en présentant sa pensée sous la forme de dialogues, respectant ainsi la forme énergique de la réflexion de son maître, son ironie mordante, son aptitude à réveiller son interlocuteur d’une bonne salve de questions, d’objections, de refus du confort dogmatique des certitudes trop facilement considérées comme évidentes. Les successeurs de Socrate, aussi divers soient-ils nous ont ainsi laissé, en guise de voix, en guise de présence, en guise d’interlocuteurs sachant aiguiller correctement notre propre pensée, leurs écrits. Aussi figés soient-ils tant qu’ils restent alignés dans les rayonages des bibliothèques, ils prennent leur vie dès qu’ils sont lus. Il ne s’agit pas là de simplement faire une belle phrase qui tenterait (vraiment maladroitement ici) de pousser les élèves (et les autres !) à lire, en les prenant par une très hypothétique corde sentimentale. Derrière la belle image, demeure une réalité : livrée à elle-même, la pensée isolée (surtout si elle est debutante) est encore trop facilement la proie de ses propres illusions (les préjugés, les opinions confortables, les idéologies paraissant relever de l’évidence, etc.). La confrontation avec les philosophes, à travers leurs livres, permet de s’offrir la compagnie de professeurs de luxe, intransigents, précis, aigus. Elle permet surtout d’être précédé dans le processus de réflexion par une armée d’éclaireurs qui ont déjà déblayé le vaste théâtre des opérations de la pensée. Aussi curieux que cela puisse paraître, on pense d’autant mieux qu’on pense en héritier de ceux qui nous ont précédés.

Reste, toujours, la même question : que lire ?

On l’a déjà dit : il n’existe pas de liste type des livres qu’on doit lire; ceci doit demeurer une trajectoire personnelle. Aussi me contenterais-je, maintenant et tout au long de l’année, de signaler quelques ouvrages qui pourraient avantageusement accompagner l’éventuelle méditation que pourraient provoquer les cours (méditation qui est, rappellons le, nécessaire).

 

Puisqu’avec Socrate, nous en sommes encore au stade des présentations, il serait utile de poursuivre cette première rencontre en l’approchant de plus près. Oublions Rousseau, qui nous en a proposé une version un peu amputée dans son discours sur les sciences et les arts, et accordons plutôt notre confiance à Platon, qui (je rappelle que la pédagogie consiste à apprendre aux autres ce qui pour nous est censé être de l’ordre de l’évidence) nous fournira tous les écrits que son maître avait refusé de produire. Le nombres des dialogues peut effrayer. La grosseur de certains d’entre eux aussi. Pour commencer en douceur, on se dirigera donc vers les trois dialogues suivants :

L’apologie de Socrate, qui est tout simplement le récit par Platon du procès que la Cité va tenir contre Socrate, et particulièrement du moment ou Socrate va assurer sa propre défense, et ce d’une manière originale, puisqu’il va se refuser à renier le rôle d’incitateur à la pensée qu’il a choisi d’adopter dans la Cité. Plus étonnant encore, au moment de fixer sa propre peine, il conseille de le « condamner » à être entretenu pour le restant de ses jours dans le prytanée (qui est le lieu qui servait de foyer des élus des tribus d’Athènes, qui y siègent et y sont nourris; ainsi Socrate réclame t il simplement comme peine d’être reconnu comme apte au gouvernement de la Cité). Arrogance certes, mais arrogance légitime en l’occurence puisque Socrate se donnait comme mission politique de former des hommes politiques justes, et non pas simplement habiles.

– Une fois lu ce dialogue, il est vraiment conseillé de plonger dans les deux autres dialogues qui mettent en scène la condamnation de Socrate et sa mort : le Criton et le Phédon (petite précision pour ceux qui trouvent ces titres étranges : ces titres sont simplement le nom de l’interlocuteur principal de Socrate dans chacun de ces dialogues. Devenus titres, ces noms ont acquis un article, et deviennent donc LE Criton, LE Phédon, etc. (et non, bien sûr, il n’y a dans l’Apologie de Socrate aucun personnage qui porte pour nom « Apologie »…)). On découvrira dans le Criton les raisons pour lesquelles Socrate refuse d’échapper à la mort à laquelle il a été condamné. Criton essaie de le convaincre de fuir (ce qu’il aurait pu faire) mais Socrate va faire parler les lois, et montrer que leur respect doit être considérer comme plus important que la vie même, dont il faut savoir se détacher (ce passage, célèbre, est connu sous le nom de Prosopopée des lois »). Dans le Phédon, ce sont les Apologie de Socrate - Criton - Phédonderniers instants de la vie de Socrate qui sont mis en scène. On y assistera à un passage éclair de sa femme, Xanthipe, puis le dialogue s’orientera vers le questionnement sur la mort (difficilement contournable dans cette situation), plus précisément sur les raisons pour lesquelles on peut affirmer l’immortalité de l’âme. Ce faisant, on assiste à un moment évidemment émouvant dans la relation que les disciples de Socrate entretiennent avec leur maître, mais surtout, est exposée de manière claire, simple, mais aussi très profonde, vertigineuse même, ce qui fonde ce qu’on appellera dorénavant l’idéalisme platonicien, autrement dit la double appartenance de l’âme, d’un côté au monde sensible, dans lequel elle est plongée par l’intermédiaire du corps, et de l’autre côté au monde intelligible, d’où elle vient, et vers lequel elle retourne. La discussion prendra fin quand les gardes apporteront à Socrate le poison qu’il boira en présence de ses amis et disciples. Le récit se clot sur la mort de Socrate, prononçant des derniers mots qui sont aussi mystérieux que célèbres : « Criton, nous devons un coq à Asclépios; payez le, ne l’oubliez pas ».

Pour que plus rien ne fasse obstacle à cette lecture, ajoutons que plusieurs collections de livres de poche ont par le passé proposé ces trois dialogues en un seul volume (Folio Essais, et GF-Flammarion entre autres). Ces volumes sont aujourd’hui épuisés, mais il s’en trouve peut être un exemplaire dans la bibliothèque familiale, ou à la bibliothèque municipale (à laquelle il est nécessaire d’être inscrit) ou chez le marchand de livre d’occasion local (qui doit devenir votre ami). Il ne devrait vous en coûter que quelques euros (et la bibliothèque, c’est gratuit). Plus aucun obstacle ne se dresse entre vous et cette rencontre.

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