Méthode d’arrachement au sol – Principes d’élévation – De nouveau David Toole.

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Puisque David Toole, entrevu quelques articles plus tôt, semble remporter un certain succès, et pas mal de réflexion (on ne peut rêver plus efficace en matière de surrection de la réflexion concernant la définition exacte de la danse, et donc, plus largement, de l’art), puisqu’il semblerait qu’il soit porteur, simultanément, d’un pouvoir de destruction des représentations dogmatiques sur l’art, et d’un pouvoir d’affirmation de quelque chose de nouveau, puisque de plus cette proposition se fait dans la beauté manifeste d’un corps non conforme parvenant, par sa force plastique, à imposer ses nouveaux codes, réinvitons le, à travers ce nouveau montage autour de passages de l’oeuvre de la compagnie DV8, « The Cost of Living ».

Et pour le mettre en perspective, je l’accompagne (comme on accomode les vins et les plats, on accomode aussi les expériences sensorielles et les rencontres conceptuelles) d’un extrait de la naissance de la tragédie, de Nietzsche, dont on sait à quel point il a souvent écrit sur la danse, et quelle importance il accordait à cet art, considéré par lui comme l’expression même de la volonté de puissance. Nous reviendrons un jour sur les rapports entre Nietzsche et la danse question qu’on a d’ailleurs déjà abordée ici.

Laissons donc à Nietzsche la parole, et laissons à David Toole la prise de pouvoir sur l’espace.

«  » Transformez en tableau l’ « Hymne à la joie » de Beethoven et ne laissez pas votre imagination en reste lorsque les millions d’ êtres se prosternent en frémissant dans la poussière : c’est ainsi qu’ il est possible d’ approcher le dionysiaque. Maintenant, l’ esclave est un homme libre, maintenant se brisent toutes les barrières hostiles et rigides que la nécessité, l’ arbitraire et la « mode insolente » ont mises entre les hommes. Maintenant, dans cet évangile de l’ harmonie universelle, non seulement chacun se sent uni, réconcilié, confondu avec son prochain, mais il fait un avec tous, comme si le voile de Maya s’ était déchiré et qu’ il n’ en flottait plus que des lambeaux devant le mystère de l’ Un originaire. Par le chant et la danse, l’ homme manifeste son appartenance à une communauté supérieure : il a désappris de marcher et de parler et, dansant, il est sur le point de s’ envoler dans les airs. Ses gestes disent son ensorcellement. De même que les animaux maintenant parlent et la terre donne lait et miel, de même résonne en lui quelque chose de surnaturel : il se sent dieu, il circule lui-même extasié, soulevé, ainsi qu’ il a vu dans ses rêves marcher les dieux. L’ homme n’ est plus artiste, il est devenu oeuvre d’ art : ce qui se révèle ici dans le tressaillement de l’ ivresse, c’est, en vue de la suprême volupté et de l’ apaisement de l’ Un originaire, la puissance artiste de la nature toute entière. »
La naissance de la tragédie

Juste une dernière remarque : si le danseur est celui qui a désappris à marcher, qui, mieux que celui qui n’a pas de jambes, peut le mieux s’élever par la danse ? Une fois de plus, ces êtres qui seraient facilement considérés par beaucoup comme se situant à la lisière de l’humanité sont ceux qui parviennent à nous en apprendre beaucoup sur notre propre compte. Et David Toole, dans ce que Foucault appelerait peut être son « étrangeté légitime », semble bien être de ces hommes qui ne sont plus artistes, mais qui sont devenus oeuvre d’art.

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2 Comments

  1. J’ai découvert D.TOOL il y a peu. Et ce soir, cet article que dont je trouve le contenu passionnant!

    Pour autant je ne suis pas en accord avec la remarque de fin : entre celui qui a désappris à marcher et celui qui n’a jamais marcher, il n’y a pas de comparaison possible. Parce que c’est justement dans l’acte de ne plus savoir ce qui pourtant était naturel qu’il y a « évolution ». Et non dans l’acte d’apprendre, voire de créer, à partir de « rien »(sur le plan de la marche j’entends).

    Les deux ni ne se valent, ni ne se comparent, comme dit dans ce même article : D.TOOL invente, là où les autres réinventent. Et les deux sont passionnants!

  2. Noëe > je ne puis qu’agréer : d’un strict point de vue logique, on ne peut désapprendre à marcher qu’à la condition d’avoir pu, tout d’abord marcher.Pour autant, je ne suis pas certain que marcher soit, pour l’homme « naturel » : on nous apprend à marcher, et tous les hommes ne marchent pas de la même manière. Reconnaissons cependant que, curieusement, nous sommes faits pour ça, comme si quelque chose de notre corps nous indiquait que nous sommes faits pour être cultivés. Mais c’est presque un autre problème. Disons que, même dépourvu de jambes, David Tool ne danse pas dans un monde dénué de toute culture chorégraphique, et sa spécificité morphologique impose, en quelque sorte, aux chorégraphes de réinventer leur propre vocabulaire, contraints et forcés pour commencer, et créateurs finalement.
    Merci pour le commentaire !

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