Dernière soirée avant ce qu’on considère comme le grand jour quand on l’envisage depuis sa veille, et ce dont on se souviendra à peine une fois les résultats obtenus. Trop tard pour réviser, même si ça peut devenir un peu compulsif, cette envie de consulter cours les manuels, la veille de l’épreuve. Le mot veille est d’ailleurs rarement aussi approprié pour désigner ces soirées précédant les journées porteuses d’enjeux tels qu’on se verrait mal, avant de les aborder, fermer les yeux pour dormir d’un sommeil préparateur. Dormir, c’est pourtant ce qu’il faudrait faire en ce moment même, afin de venir demain matin les idées claires et distinctes, comme Descartes recommandait de les former.
Au moment de passer à l’acte final, ce qui importe, c’est de remettre les idées et les choses à leur place. Pour ce qui est des idées, c’était le travail de toute une année, et peut être même un peu plus, si on se souvient que l’année de philosophie ne vient que mettre en perspective tous les acquis des années précédentes, donnant quelques outils pour les utiliser de manière juste, efficace, finaude, astucieuse. Autant dire que récupérer des années de connaissances en une nuit, fut-elle blanche, semble relever de la mission impossible.
Pour ce qui est des choses, le mieux est de considérer de manière juste ce qui va avoir lieu demain.
Il s’agira d’un examen. Normalement, à force, à l’heure qu’il est, au bout d’un an de cours, vous devriez être plus ou moins habitués à observer les mots avec un peu d’acuité, à les démonter pour mieux les saisir. « Ex-amen », ça devrait vous faire penser à une sortie. Ca peut paraître bizarre, en une veille de baccalauréat, de se dire qu’on est face à la sortie alors qu’on se sent forcément plus ou moins pris au piège, pas tout à fait prêt, mais c’est pourtant de cela qu’il s’agit : agere, en latin, d’où vient lointainement notre « examen » (tout comme « exiger »), ça signifie « pousser, mettre en mouvement ». ex, on le sait, désigne l’en dehors. Voila tout le mouvement qui aura lieu demain : on va vous pousser dehors. Les loups, les chiens vivant en meute font ça aussi : quand les petits tardent un peu trop à venir se blottir contre leur mère, celle-ci les repousse du museau, et montre les dents pour signifier qu’il va falloir changer de comportement, et aller chercher sa nourriture ailleurs, plus loin, en dehors.
Demain, on va donc vous repousser. Du moins est ce le sens profond de l’évènement, même si tout ne va pas sembler concorder avec cette interprétation. Mais envisagez le sous cet angle un instant, il aura davantage de sens et vous aurez un peu moins l’impression d’être pris au piège, ou coincé dans des épreuves que vous ne pouvez pas réussir. Au contraire, il s’agit de faire la preuve de votre autonomie, et de montrer que ce breuvage de connaissances que vous êtes jusque là venus chercher auprès de vos professeurs, vous êtes maintenant capables d’en faire quelque chose, et de le compléter par vous mêmes (on remarquera d’ailleurs que, pour ceux qui ont pris leur « autonomie » depuis déjà plusieurs mois en « choisissant » de ne plus venir en cours, si le conseil de classe a décidé de leur demander de faire leurs preuves, c’est bien parce qu’ils ont jugé qu’ils pouvaient se former tout seuls (mais alors, pourquoi s’inscrire ?!), et que les professeurs demandent à voir, et à juger sur résultat). En d’autres termes, c’est le moment de montrer que vous êtes prêts à partir. C’est, certes, une manière un peu rude de vous envoyer dans le « grand » monde, mais toute manière plus plaisante, conviviale risquerait de vous couper l’envie de partir. En d’autres termes : le contrôle continu aurait ceci de pervers qu’il ne constituerait plus ce saut dans le vide et cet envoi vers l’inconnu et la confrontation avec le monde.
Vous saisissez ainsi un peu mieux le sens de l’examen et de son caractère contraignant et désagréable. Un contrôle continu ne permettrait pas un tel jugement qui se doit d’être dernier. Et comme tout jugement dernier, il ne fait que valider le passage d’un état à un autre.
Aussi, demain, au lieu d’être submergés par le côté très disciplinaire de l’épreuve, mieux vaudra prendre un peu de hauteur et considérer la journée (et les jours qui vont suivre) comme une épreuve, certes, mais initiatrice, et non pas comme une conclusion. Si l’examen est une expulsion, c’est qu’il y a bien un au-dehors vers lequel se rendre. On aura passé une bonne partie de l’année penchés sur cet « ex », qui constitue notre néant et notre élan. Demain, c’est simplement le moment de ne plus se contenter de regarder cet espace, mais de l’investir.
Demain, (tout à l’heure, maintenant), c’est le passage à l’acte. Une im-pulsion pour l’ex-pulsion.
Bonne confrontation avec le néant.
je viens de lire ça après avr passé ttes les épreuves, plus ou moins réussies sauf celle de philo ! drame total, aucun traitement du sujet de l’ethique, des progrès de la science et tout ce bazar. Tant pis, la philo c’était bien qd même et même si je me suis plantée à l’examen je ne regrette pas les 8 heures de philo par semaine de cette année. Merci M Blondel et à Dieu !
Mais de rien, c’est mon job !
Et les livres offrent la possibilité de continuer à pratiquer quelques heures de philosophie de temps en temps, ils sont des interlocuteurs toujours présents et disponibles.
Rendez vous aux résultats !