En complément de l’article précédent, un extrait du chapitre LIV, intitulé « Des vaines subtilités » du livre I des Essais de Montaigne. Un paragraphe en particulier attirera ici notre attention, dont on tirera toute la saveur en l’accompagnant du texte de Pascal étudié précédemment. On le dit beaucoup, on le montre moins, les penseurs se lisent les uns les autres et s’inspirent. Pour autant, au delà d’une forme qui est étonnamment semblable, les raisons pour lesquelles chacun écrit ces lignes voisines sont diffèrent considérablement. Pour autant, la mise en parallèle est trop tentante pour qu’on n’y cède pas :
« Il se peut dire, avec apparence, qu’il y a ignorance abécédaire, qui va devant la science; un autre, doctorale, qui vient après la science : ignorance que la science fait et engendre, tout ainsi comme elle défait et détruit la première (…)
Les paysans simples sont honnêtes gens, et honnêtes gens les philosophes, ou, selon notre temps, des natures fortes et claires, enrichies d’une large instruction de sciences utiles. Les metis (ceux qui sont entre les deux extrêmes) qui ont dédaigné le premier siège d’ignorance de lettres, et n’ont pu joindre l’autre (le cul entre deux selles, desquels je suis, et tant d’autres), sont dangereux, ineptes, importuns; ceux-ci troublent le monde. Pourtant, de ma part, je me recule tant que je puis dans le premier et naturel siège, d’où je me suis pour néant essayé de partir ».
Le vocabulaire est très proche, même si le ton diffère. Le propos est, dans le fond, assez différent aussi : si on trouve chez Montaigne une pensée qui est en fait une relecture du scepticisme, qui constitue finalement une théorie de la connaissance, chez Pascal, on se situe sur un autre plan, qui demeure métaphysique, même quand il s’attaque à cette même question de la connaissance.
La confrontation demeure éclairante, et si on veut la poursuivre, il est possible de lire l’étude que Léon Brunschvicq a effectuée, intitulée Descartes et Pascal, lecteurs de Montaigne, disponible à cette adresse.
En illustration, le château (mais aussi, et surtout, la bibliothèque) de Montaigne.