La programmation 2008/2009 du dispositif « Lycéens et apprentis au cinéma » permettait comme la plupart des autres années de susciter chez les élèves des attitudes de spectateurs assez radicalement différentes les unes des autres. Si The Host de Bong Joon-Ho jouait avec les habitudes d’un public familier des films d’action, Coeurs de Alain Resnais brossait le sentimentalisme à rebrousse poil en lui refusant toute perspective, et quasiment toute narration apparente, au point d’ennuyer et d’endormir une part non négligeable de l’audience lors de sa projection. Si les élèves avaient aimé the Host, nombreux étaient ceux qui affichaient un sourire désolé à la sortie de Coeurs, et témoignaient de la difficulté qu’ils avaient rencontrée à entrer dans cet univers; bref, ils n’avaient pas tellement aimé et « comme on sait bien », l’amour, ça ne se commande pas, c’est quelque chose qui s’impose. Pourtant, ce qui se dit du nouveau plat proposé par la cantine du lycée peut il vraiment se dire des oeuvres d’art ? En d’autres termes, l’amour des oeuvres est il un phénomène qui se produit de lui même, par une alchimie immédiate que seuls la configuration spécifique de la sensibilité de chacun justifierait (sans jamais pouvoir faire de cette justification une démonstration, car l’amour serait alors sans raison), ou bien doit on y voir un processus plus complexe, et davantage cultivé, qui fait tout d’abord appel à l’analyse et à la compréhension des oeuvres, avant de les aimer ? En somme, peut-on aimer une oeuvre d’art sans la comprendre ? La première option semble correspondre au caractère apparemment soudain de l’attraction esthétique, mais a pour conséquence son absolue subjectivité, la seconde permet une esthétique a priori universelle, mais cette universalité sera réservée à une élite, et on lui demandera d’apporter à ses jugements une démonstration qui demeurera pourtant nécessairement impossible, comme on le verra. Une autre piste consistera alors à observer la manière dont les oeuvres nous ravissent, à prendre en compte le caractère paradoxal de cette relation, et à définir l’oeuvre d’art à partir de ce paradoxe, sans chercher à le détruire pour plier l’oeuvre d’art aux lois des objets communs.
NB, on aurait pu prendre une voie plus radicale pour introduire ce problème, en s’appuyant sur certaines formes de l’art contemporain, qui mettent en scène des séquences qui sont difficilement supportables pour le spectateur. Le travail effectué par Ron Athey, qui soumet lors de performances publiques sont corps à des doses massives de douleur, peut laisser sceptique tant il va à l’encontre de ce qui constitue massivement les goûts esthétiques du public (on pourrait d’ailleurs s’interroger sur les quelques membres de ce public qui prendraient plaisir face à ces oeuvres, et la question ne serait pas inintéressante, car d’une part cela permettrait de traiter de la complaisance, mais aussi de cerner pourquoi les oeuvres de Ron Athey, bien que très sanglantes, se distinguent nettement, et fondamentalement, de films de pur assouvissement tels que les séries Saw, ou Hostel. Ron Athey est sans doute un peu trop radical pour être abordé en classe, mais si des adulte lisent ce blog, il peut être intéressant de s’y confronter, précisément parce qu’il y a là une démarche qui peut difficilement être aimée spontanément, ce qui semble indiquer qu’une analyse plus profonde de ses oeuvres soit nécessaire pour pouvoir les apprécier. Plus largement, on peut se demander si l’art contemporain n’est pas, par définition, quelque chose qu’il est délicat d’aborder en classe, et pourtant, on peut penser que toute éducation à l’art doit se donner pour objectif de permettre aux élèves de se confronter à l’art de leur temps, et de s’y repérer sans guides, condition nécessaire pour naviguer dans l’histoire de l’art de manière autonome, c’est là la justification de la référence à cet art que certains pourraient considérer comme légèrement dégénéré.