Voila un article qui va concerner peu de monde, puisqu’il va simplement indiquer à mes élèves les ouvrages achetés dernièrement par les soins de moi-même et de ma vaillante escadrille de professeurs de philosophie, afin de remplir les rayons jusque là un peu désespérément vides du secteur « 100 » du CDI.
Cela servira autant d’incitation à la lecture pour les quelques élèves qui passeraient dans les environs et y découvriraient un titre qui saurait les séduire que de liste d’achat pour ceux qui voudraient se constituer une bibliothèque chez eux (après tout, si on considère qu’il est bien nécessaire, dans un budget annuel, de mettre un peu d’argent pour les sorties, pourquoi ne pas voir dans le budget « livres » quelque chose de tout aussi vital ?). Je vois d’ici le lecteur se disant qu’il aimerait bien avoir le budget d’un CDI pour s’acheter des livres. Je ne sais pas ce qu’il en est dans les autres secteurs de l’éducation, et en particulier dans le secteur marchand, mais du côté du public, cela demeure un investissement fort modeste. Mais bon, il doit me rester encore vingt cinq ans de bons et loyaux services à rendre à l’éducation nationale, avant de filer vers une retraite méritée (à moins que d’ici là on se mette majoritairement d’accord pour considérer que, finalement, non, ce n’est pas si mérité que ça). D’ici là, je pense avoir les moyens de faire du rayon « philo » du CDI un repère pour les rats de bibliothèque du futur.
Pour l’heure, on trouvera dans les achats des ouvrages plutôt pratiques, parce qu’étant donné le vide abyssal de nos rayons, il fallait aller au plus pressé. L’orientation, pour le moment, est donc allé vers les classiques, plus particulièrement ceux qui sont susceptibles d’être lus par les élèves, et vers les livres permettant d’accéder sans trop de difficultés aux notions qui sont au programme. Mais on a aussi eu à coeur d’y introduire, en passagers clandestins, des titres qui nous sont plus chers, même si c’est pour le moment en proportion infinitésimale. Le CDI doit être, à terme, le témoin de l’histoire des professeurs en tant que lecteurs de philosophie. Après tout, c’est bien ça, notre travail : intercesseurs, entremetteurs entre les auteurs, les écrits et les lecteurs potentiels.
Pour être tout à fait pratique, j’ai simplement pris en photo la pile de livres au moment où la commande est arrivée au lycée, (quelques intrus, commandés par d’autres disciplines, se sont glissés dans le carton !), et je vais les chroniquer rapidement dans le sens descendant de la pile (en d’autres termes, il n’y a là aucun ordre méthodologique, mais c’est souvent ainsi que se constituent nos bibliothèques personnelles !).
100 fiches pour aborder la philosophie, de Cyrille Bégorre- Bret, Dominique Bourdin, Véronique Briere, et Julie Brumberg-Chaumont (2008)
Voici un ouvrage fort pratique pour celui qui veut mettre un peu d’ordre dans un apprentissage un peu trop rapide, ou pour qui voudrait découvrir de manière nécessairement succincte le paysage général des problématiques philosophiques. A la différence de ces ouvrages contestables que sont les livres spécialisés dans l’épreuve du bac, qui ne proposent que des résumés de chaque chapitre, réduisant tout à une liste de choses à savoir, ces 100 fiches essaient de pousser le lecteur à la réflexion en le confrontant aux problèmes eux mêmes, fidèles en cela à l’affirmation kantienne selon laquelle on ne peut pas apprendre la philosophie, seul l’acte de philosopher pouvant être enseigné. On précisera qu’il s’agit là d’une collection fort utile. D’ailleurs, le second livre en est lui aussi issu :
100 fiches de culture générale, de Dominique Bourdin, Glibert Guislain, et Paul Jacopin (2009)
Sur le même principe que le précédent, mais cette fois ci structuré autour de l’histoire de la pensée, chronologiquement, en commençant par l’antiquité et en suivant le cours du temps jusqu’à la pensée contemporaine. Chaque époque est traitée selon ses apports conceptuels, ce qui permet un autre type d’entrée dans le programme. Or, si cette grille de lecture des concepts est rarement privilégiée en cours, elle permet tout de même de se rendre compte que la pensée présente bel et bien une évolution au cours de l’histoire, et que les courants, loin d’être simplement juxtaposés, s’enchainent selon un principe logique.
La philosophie pour les nuls, de Christian Godin (2007)
Belle série que cette collection de titres qui osent insulter le lecteur pour mieux créer avec lui la connivence qui est une des sources possibles de la pédagogie. Ce titre en particulier est souvent agaçant pour le professeur qui le feuillète, dans la mesure où il parvient très souvent à être clair sans être simplificateur. Un seul regret, peut être, les citations, très courtes et non contextualisées. Mais pour le reste, l’approche historique n’empêche pas du tout de mettre en place des éléments de problématique et celui qui maîtriserait le contenu de cet ouvrage serait déjà nettement au dessus du lot habituel des élèves de terminale.
Marx & Engels : Le manifeste du parti communiste.
Il parait que Marx est de nouveau à la mode. S’il fut un temps récupéré par le courant communiste, il est aujourd’hui cité par le libéralisme comme une analyse clairvoyante. Le mieux est encore de le lire par soi-même. Le manifeste est un ouvrage court, mais dense. Sa première page est connue de tous (on ne devrait pas écrire ça, puisqu’en réalité, ce n’est pas le cas, mais disons que ne pas l’avoir lue peut, parfois, mettre dans l’embarras, au cours d’une conversation dont tous les autres participants l’ont, eux, lue !), et son ton est résolument révolutionnaire. Mais c’est à une théorie de la révolution qu’invitent ici Marx et Engels, exposant les épisodes historiques précédents, les réunissant sous l’appellation « lutte des classes », et proposant de rompre avec le cycle jusque là sans faille des dominations de classe. On l’a acheté dans la collection des intégrales Nathan, parce que les commentaires y sont très souvent éclairants et pertinents. Mais on conseillera de lire Marx, dans un premier temps, et particulièrement ce genre de texte, par soi même, pour se confronter à ce ton directement. Ensuite, on peut y revenir avec un guide.
Machiavel. Le Prince
Ouvrage dédié à Laurent de Medicis, Le Prince est un guide issu de l’expérience de Machiavel en tant qu’ambassadeur. Mais avant d’être un livre pratique, c’est surtout une réflexion sur la raison d’être du politique, sur ses objectifs et sur les moyens qu’il peut mettre en oeuvre. Contrairement à ce qu’on croit souvent, ce n’est pas une oeuvre idéologique : s’appuyant sur une analyse anthropologique, Machiavel y fonde le pouvoir sur ce qu’est le peuple, et sur ce que doit, dès lors, être le rôle du gouvernant. Si certains l’ont lu comme un manuel cynique pour apprenti despote, on peut reconnaître qu’un peuple composé de citoyens l’ayant lu serait, en fait, mur pour la démocratie, celle ci ne se fondant que mollement sur une conception mièvre du politique. Ajoutons que l’oeuvre est lisible par elle même, avec un accès au net ou une bibliothèque autour de soi pour éclaircir les références historiques que multiplie Machiavel (il excelle dans cet exercice), mais l’édition proposée (les intégrales Nathan, de nouveau), permet d’effectuer cette expérience de pensée en étant accompagné.
Descartes, Le Discours de la méthode. Passons par dessus la difficulté liée à l’usage du français du dix-septième siècle : ce souci de démocratisation est aujourd’hui un léger obstacle à la lecture. Mais on a là un ouvrage d’autant plus lisible qu’il a été écrit pour être lu par tous, et qu’il se présente comme une enquête qui se déroulerait dans les bas fonds de la connaissance. Discerner le vrai du faux, jusque dans les doutes les plus poussés, excessifs (« hyperboliques », dit-on dans cet ouvrage), voici le projet que se fixe Descartes. Ce livre est comme une succession quasi ininterrompue de « hits » philosophiques : le bon sens partagé par tous, les règles de la méthode, le doute méthodique et (donc) hyperbolique (tellement hyperbolique que la paranoïa cognitive développée par Matrix semble soudain bien timorée), la morale provisoire, « Je pense donc je suis », la preuve de l’existence de Dieu, les mouvement du coeur, le biologique conçu comme une machine, l’homme qui devient comme maître et possesseur de la nature… Ce livre est à la philosophie ce que « Thriller » est à la musique pop. Cela fait suffisamment d’arguments pour se familiariser avec le français du dix-septième siècle !
Hannah Arent. La condition de l’homme moderne, chapitre 1, la condition humaine.
De l’antiquité à l’époque contemporaine, c’est un renversement qui s’opère dans le domaine de l’activité humaine : nous valorisons aujourd’hui la vie active à laquelle l’antiquité préférait la vie contemplative. Mais plus précisément, dans la vie active, ce qui nous intéresse, c’est la production de biens marchands, là où nos prédecesseurs considéraient, eux, la production comme la plus basse des activités, inférieure à l’art et à l’action politique. Renversement parallèle, nous passons de la politique à l’économie, de la poursuite de la vie heureuse à la recherche de la rentabilité. En terme de civilisation, c’est comme si soudainement l’Europe reniait ses propres fondations. Voila le processus qu’analyse Hannah Arendt dans ce livre désormais classique, idéal compagnon de celui qui veut méditer le sort qui est maintenant le nôtre : avoir comme but « dans la vie », de travailler. Une lecture d’autant plus conseillée quand nombreux sont ceux qui se voient fermer cette perspective.
Roger-Pol Droit. Une brève histoire de la philosophie.
C’était une de nos règles de choix : privilégier les présentations de la philosophie qui permettent de la voir être mise en oeuvre, plutôt qu’un exposé qui pourrait être reproduit tel quel, en bon chien savant. Roger-Pol Droit se donne précisément comme ligne directrice de suivre les éléments d’une enquête sur la piste de la vérité, cette question qui anime, depuis ses origines, l’histoire de la philosophie. En vingt chapitres, portant sur autant de héros de cette histoire, cette histoire se tisse, de problème en problème, sous la forme d’un dialogue intergénérationnel, une avancée collective à laquelle nous pouvons à notre tour participer.
Ollivier Pouriol. Cinephilo.
Il y a des livres qui sont enthousiasmants parce qu’ils sont exactement ce qu’on aurait aimé écrire. Ils sont agaçants pour la même raison. Cinephilo en fait partie. Ollivier Pouriol réussit à faire un usage véritablement philosophique du cinéma. Parce qu’il est une mise en image, et parce que la philosophie a pour fonds baptismaux les images elles mêmes, mises en scène par Platon sous forme de mythes, qui ne sont qu’une surface qui montre tout en se présentant comme un voile, ce que reproduit aujourd’hui, exactement, l’écran de projection du cinéma, les films offrent un territoire habité par les idées, projetées sous forme d’images mouvements. Parce que le cinéma met en scène des hommes, des vies, il est aussi propice, comme tous les arts qui mettent en jeu des récits, à tracer des perspectives que la philosophie a déjà défrichées, esquissées, définies. Cinéphilo, à travers des analyses de séquences extraites de films aussi différents que Fight-Club ou American Beauty, parvient à poser des problématiques philosophiques, et à les graver dans les neurones, tout simplement parce que le mouvement des images est sans doute le plus proche parent de celui des idées. Une lecture qui passionnera tous ceux qui viennent sur ce blog parce qu’il y est souvent question de cinéma.
Lucien Jerphagnon. Au bonheur des sages.
D’abord, l’auteur, parce qu’il a tout de ce qu’on pourrait appeler « un personnage ». Parmi les spécialistes récents de l’histoire de la philosophie, peu donnent autant l’impression d’avoir saisi dans son ensemble leur objet d’étude, et d’avoir rendu cette saisie possible par un recul suffisant. Chez Jerphagnon, cela se traduit par une certaine manière de prendre, avec élégance, son domaine avec humour. En effet, lire Jerphagnon, c’est entendre une voix animée d’un bon gros sourire nous entretenir de ce que les philosophes peuvent avoir de sérieusement anecdotiques. C’est sa science qui permet à Jerphagnon d’aller aussi loin dans les détails que beaucoup considéreraient comme secondaires, c’est sa sagesse qui lui permet de prendre ces éléments avec humour, sans les transformer en éléments de pure érudition. Le savoir est ici une échelle à gravir, et non une masse servant à écraser le lecteur. Jerphagnon est un professeur comme il s’en fait peu, qui donne envie d’apprendre parce qu’on le voit lui même humble face à la connaissance. C’est peut être là sa principale leçon.
Roger-Pol Droit. 101 expériences de philosophie quotidienne.
Peut être un peu anecotique. Peut être aussi une idée insuffisamment aboutie, à moins que l’inaboutissement fasse partie du cahier des charges de cet ouvrage. Roger-Pol Droit propose ici d’inaugurer le mouvement philosophique par ses racines expérimentales. Après tout, il y a des moments, dans une vie, souvent les plus graves, qui sont susceptibles de provoquer une entrée en philosophie, car ils mettent à nu son caractère problématique. Sans tomber dans le panneau d’une accumulation de drames personnels potentiels, ces 101 expériences parviennent à faire germer ds interrogations à partir d’expériences de rien du tout : tuer des gens dans sa tête, appeler des inconnus au téléphone, oublier son propre nom, boire en pissant (oui oui). Rien que de l’accessible, rien que du partageable, et une porte d’entrée dans des méditations potentiellement profondes. Peut être que les textes accompagnant chaque expérience sont ils parfois un peu trop courts, mais c’est aussi ce qui leur permet de ne pas conditionner à l’avance les expériences. Mention très bien pour l’index ingénieux, en fin de volume.
André Comte-Sponville. Présentations de la philosophie.
Douze thèmes, un nombre un tout petit peu apostolique, mais avec Comte-Sponville, on est toujours dans des territoires déjà parcourus, des méthodes aguerries, des idées solides, fasconnées par le temps. Ce n’est pas ici qu’on découvrira des nouveaux concepts, ce n’est sans doute pas ici non plus qu’on verra la philosophie produire des effets inattendus. Mais on ne demande pas cela à ces livres là (pas plus celui ci que le suivant, dans la pile des achats du jour). C’est un peu mondain, un peu convenu, mais au moins c’est une valeur sûre. Et c’est aussi ce dont on a besoin quand on est en terminale. Un fidèle compagnon, donc, dont on apprendra, ensuite, à se séparer.
Luc Ferry. Apprendre à vivre.
Un peu sur le même modèle que le précédent, avec les mêmes qualités, et les mêmes limites. Ferry est un très bon guide dans le musée de l’histoire de la philosophie, parce qu’il est capable de faire ce que peu se donnent la peine de s’imposer : se souvenir qu’il y a dans le monde un certain nombre d’hommes qui ne connaissent pas le vocabulaire spécifique de la philosophie. Or, le jargon est un obstacle d’autant plus infranchissable pour le néophyte qu’il se constitue précisément comme un code qui exclue tous ceux auxquels il n’a pas été transmis. Cet ouvrage tente, à travers cinq grandes périodes, de présenter de grands courants de pensée en ayant soin de ne pas recourir au vocabulaire des spécialistes en philosophie. Ce faisant, Ferry se contraint à une grande précision dans l’expression des idées, et à un souci pédagogique de tous les instants. Ici aussi, c’est précis, clair. Et tant que Ferry ne s’attaque pas à la philosophie contemporaine, et tant il ne se transforme pas en polémiste capable de véritable mépris culturel (ce qui semble n’avoir pas de sens quand on écrit de tels ouvrages), ces livres sont de précieux guide d’introduction. Un peu comme si on voulait découvrir le jazz, et qu’on le faisait par l’intermédiaire des choix de disques sur le site de télérama. On notera que le second volume suit le même projet, mais dans le domaine particulier des mythes.
Jeanne Hersch. L’étonnement philosophique.
Un classique de la découverte des auteurs. Et ce n’est que justice, car la démarche de Jeanne Hersch consiste à remonter aux origines de la réflexion chez les principaux philosophes. Et c’est sans doute la manière la plus philosophique d’aborder ces grands noms : pourquoi, dans leur vie, la philosophie est elle devenue une nécessité ? C’est un angle d’approche d’autant plus intelligent qu’il permet de court circuiter l’effet pervers qu’a l’apprentissage de la philosophie au lycée : on la pratique parce que ça rapporte des points au bac (ou pas, certes). Mais là n’est pas la raison d’être de la philosophie : celle ci n’existe pleinement qu’en dehors des circuits officiels. Or c’est précisément cette aptitude à penser hors des sentiers battus qui caractérisent les grands noms de cette discipline. C’est ce moment inaugural que tente de cerner Jeanne Hersch dans ce livre. Et c’est ce moment de surrection philosophique qu’on est invité à méditer à son tour.
Epicure. Lettres.
Peu de place laissée à la philosophie antique pour cette première commande. Mais c’est promis, la seconde commande lui fera davantage honneur. Mais un morceaux de choix est proposé ici avec les lettres d’Epicure. Tout d’abord, de l’oeuvre d’Epicure, il ne nous reste quasiment plus que ces lettres. Trois lettres, donc, adressées à Hérodote, Ménécée et Pythocles. A ce dernier, Epicure envoie une lettre traitant de ce qu’on appelle alors les « météores », c’est à dire, en gros, les phénomènes ayant lieu dans le ciel. A Hérodote, il écrit une lettre exposant les principes de base de l’atomisme épicurien. Enfin, la lettre à Ménécée traite, elle, de l’éthique. De plus, cette lecture est le moyen de tordre le cou à l’image pénible de jouisseur dont est affublé l’épicurisme. Loin de cette carricature, cette école est au contraire un plaidoyer pour la modération. On découvre dans ces quelques lettres pourquoi.