Donner aux élèves, à commenter, un texte affirmant qu’il faut mettre les enfants au travail, voila qui pourrait passer pour une forme anticipée de harcèlement moral. Pourtant, il ne s’agit pas ici d’apprendre aux enfants et jeunes à se soumettre au travail, mais plutôt à ne pas se soumettre à cette tendance spontanée qui nous incite à ne rien faire, et à rester, bouche bée, ébahi devant le monde, sans rien y faire. On va le voir, on est attaché à l’image de l’enfant déchargé de tout travail. Le problème, c’est que le détacher de tout travail, c’est aussi l’enchainer à l’image qu’on se fait de lui, et aliéner le futur adulte qui couve en lui. Voila les enjeux d’un texte qui, bien que relativement facile d’accès, donne lieu chez les élèves à un certain nombre d’erreurs d’interprétation.
« L’homme est le seul animal qui doit travailler. Il lui faut d’abord beaucoup de préparation pour en venir à jouir de ce qui est supposé par sa conservation. La question de savoir si le Ciel n’aurait pas pris soin de nous avec plus de bienveillance, en nous offrant toutes les choses déjà préparées, de telle sorte que nous ne serions pas obligés de travailler, doit assurément recevoir une réponse négative : l’homme en effet a besoin d’occupations et même de celles qui impliquent une certaine contrainte. Il est tout aussi faux de s’imaginer que si Adam et Ève étaient demeurés au paradis, ils n’auraient rien fait d’autre que d’être assis ensemble, chanter des chants pastoraux, et contempler la beauté de la nature. L’ennui les eût torturés tout aussi bien que d’autres hommes dans une situation semblable. L’homme doit être occupé de telle manière qu’il soit rempli par le but qu’il a devant les yeux, si bien qu’il ne se sente plus lui-même et que le meilleur repos soit pour lui celui qui suit le travail. »
Kant – Réflexions sur l’éducation
Introduction
L’enfance est censée être cet âge protégé qui n’est pas touché par les responsabilités pesant sur les adultes, et à ce titre, elle semble devoir échapper à ce qui pèse le plus sur les épaules des ainés : le travail. Sur une conception de l’enfant comme un être innocent, inconscient du monde qui l’entoure et de la place qu’il devra y prendre, on pourrait soutenir la thèse selon laquelle il doive être exclu du monde du travail, et être laissé aux joies du jeu, de la découverte gratuite et oisive du monde. Cependant, à ce projet pédagogique s’opposent ceux qui pensent que si le futur adulte doit être avant tout marqué par le travail, alors c’est dès l’enfance qu’il faut s’y préparer. Telle est, par exemple, la thèse que Kant soutient dans ses Réflexions sur l’éducation : parce que le travail est ce qui constitue la marque spécifique de l’homme, alors l’éducation se doit d’y former l’enfant en l’y habituant peu à peu. Une telle affirmation s’appuie chez lui sur deux éléments complémentaires : tout d’abord la conception du travail comme étant essentiel à l’homme, puis la remise en question de l’idée selon laquelle le labeur serait une punition divine à laquelle nous échapperions si nous étions, tels Adam et Eve, au paradis, ce qui permet à Kant d’établir en un troisième temps le travail comme le meilleur moyen d’échapper à l’ennui, ce qui paraît primordial si on voit en celui-ci l’occasion de se replier sur soi-même. Nous verrons qu’en s’attaquant au mythe génésique et à son pendant qu’est la conception de l’enfant « pur », Kant parviendra à remettre en question une conception classique du travail qui ne voit en lui qu’une peine qui ne serait jamais tout à fait purgée. A partir de l’étude ordonnée de son argumentation, nous tenterons de déterminer quelles en sont les apports, mais aussi les limites.
1 – Explication linéaire du texte
A – le travail considéré comme essentiellement humain.
L’argumentation kantienne s’ouvre sur une affirmation qui a valeur de programme : « Il est de la plus grande importance d’apprendre aux enfants à travailler ». Si on perçoit bien l’orientation pédagogique dans laquelle s’inscrit une telle thèse, si on cerne immédiatement l’opposition à tout laxisme et à toute tendance à laisser l’enfant « libre » de ses activités, on note toutefois qu’il ne s’agit pas de proposer qu’on fasse travailler les enfants, mais qu’on leur enseigne à le faire, afin qu’ils en soient capables. C’est que si le travail est la marque de l’homme, il ne constitue pas une caractéristique qui lui serait aussi innée que l’est l’instinct chez l’animal : l’homme est certes « voué » au travail, mais de même que le fruit du travail nécessite une préparation, la simple aptitude au travail est elle aussi le fruit d’une longue préparation, et on appelle ce processus « éducation ». C’est là un argument très classique, et suffisamment reconnu pour ne pas faire polémique : l’homme ne trouve pas dans la nature de quoi satisfaire ses multiples manquent (qu’ils relèvent du besoin nécessaire ou du désir en apparence superficiel) mais il dispose d’une prédisposition à transformer la nature afin d’en extraire ce qui peut combler ses manques. Mais une telle prédisposition, précisément parce qu’elle ne se réduit à aucun instinct et qu’elle réclame des savoir faire, implique un apprentissage précoce, et ce d’autant plus que le travail, au sens large, s’oppose au principe de plaisir qui nous anime : il n’est pas spontané et crée donc un fort désagrément auquel il peut est nécessaire de s’accoutumer. Car c’est bien d’une nécessité qu’il s’agit, puisqu’il en va de la conservation de l’homme, c’est-à-dire, tout simplement, de sa survie, dont on comprend ici qu’elle dépend de son activité de transformation du monde, elle-même conditionnée par une double transmission : celle des techniques acquises par l’humanité, et celle plus subtile de l’habitude du travail, qui est au départ contre-nature. L’éducation n’a pas dès lors pour but de préserver l’enfant dans la forme qu’il a dès la naissance, puisque celle-ci est impropre à garantir la perpétuation de l’espèce. Il faut au contraire faire perdre à l’enfant ce naturel inefficace pour lui faire intégrer une seconde nature, qui constitue le but de l’éducation qu’il reçoit. Alors, il pourra « jouir de ce qui est nécessaire ». Mais on le voit bien : le terme « jouir » est à entendre dans un sens particulier dès qu’il s’agit de l’homme, car il n’y a rien de moins immédiat pour l’homme que ce qu’il doit obtenir par le travail.
B – La punition d’Adam et Eve eut consisté à demeurer au paradis. La punition des enfants serait de les maintenir enfants.
La tradition a pris l’habitude d’opposer cette condition humaine liée au travail à une hypothétique condition originelle beaucoup plus avantageuse, figurée par le mythe d’Adam et Eve vivant insouciants et indolents au paradis. Kant sait bien que l’enfant est lui-même fréquemment associé à cette figure, parce qu’on le conçoit comme innocent, tel que pourraient l’être Adam et Eve avant de sombrer dans le péché originel. De même qu’on a appris à considérer le récit de la sortie hors du paradis originel comme un chute et une dégradation, on regarde l’enfant comme celui qui va être dégradé par son passage à la vie adulte, ce qui justifie qu’on le protège le plus longtemps possible de cette déchéance. En cela, néanmoins, on accrédite le fait qu’Adam et Eve sont les enfants de l’humanité. Or on sait à quel point les lumières, ce courant philosophique dont Kant est l’un des plus solides piliers, auront à cœur de faire passer l’homme à l’âge adulte, en le rendant maître de lui-même par le recours à la Raison. Dès lors, Kant ne peut voir en Adam et Eve l’humanité pleinement accomplie. Au contraire, s’ils en sont la source, ils en constituent l’embryon non encore développé. Ainsi, on comprend mieux qu’il prenne à rebours le mythe de la Genèse, en accordant une valeur négative à l’idée selon laquelle l’homme se porterait mieux si le « Ciel » l’avait exclu hors du travail, lui offrant « sur un plateau » de quoi satisfaire ses manques. Et si Adam et Eve ne sont pas l’idéal humain, si le Ciel n’eut pas été mieux inspiré de les convier à demeurer dans leur minorité originelle, nous allons voir que c’est précisément parce que c’est cette occupation spécifique qu’est le travail qui permet à l’homme d’atteindre la majorité.
C – L’homme, pour être homme, ne doit pas demeurer désoeuvré.
En effet, Kant prend soin de le répéter et de le développer : l’homme a besoin d’être occupé. Filant la référence à la Genèse, il émet l’hypothèse d’un couple originel demeurant contemplatif au sein de leur paradis. Décrit de manière volontairement mièvre, le duo semble confit dans un amusement aussi béat que vain. Simples mécaniques orientées vers la jouissance, ces images sont d’après Kant des fictions: nul homme ne peut exister de la sorte, car la conscience produirait dans de telles conditions un inconfort qui deviendrait vite insupportable. C’est que la béatitude n’est supportable, on le sait, qu’aux deux extrêmes de la conscience humaine : elle est supportable aux simples d’esprit, c’est-à-dire ceux qui en sont peu pourvus et à ceux qui l’auraient à tel point accomplie qu’elle coïnciderait exactement avec le monde. Pour les autres, c’est-à-dire pour le commun des mortels, la conscience étant l’aptitude à mettre le monde à distance, à interposer entre soi et le monde une couche intermédiaire constituée par la pensée elle-même (nous ne percevons pas naïvement le monde, nous le mettons en forme par la pensée, en somme, nous le travaillons déjà, ne serait ce que pour le percevoir), la béatitude est impossible, à moins de l’entretenir par un abrutissement constant, ce qui constituerait en fait, déjà, un travail. Ainsi, l’activité est pour l’homme nécessaire. Mais un contresens doit être ici évité : on pourrait, si on ne s’y arrêtait pas, voir ici un discours un peu inspiré de la critique du divertissement pratiquée par Pascal. En effet, celui-ci montrait que l’homme était incapable de rester à rien faire dans sa chambre, parce qu’alors l’ennui le saisissait, et avec lui l’angoisse existentielle. Ainsi, chez Pascal, l’homme s’enivre t-il dans le travail, mais c’est pour échapper à ce travail essentiel qu’est la confrontation de la conscience avec l’abandon dont elle se sent victime. On a l’impression qu’il y a chez Kant une démarche identique, à ceci près il s’agirait de valoriser le processus de divertissement au lieu de le critiquer. En fait, il n’en est rien, car si, chez Kant, il faut travailler, ce n’est pas pour fuir ; au contraire : c’est dans le travail que va se constituer l’essence même de l’homme dans ce qu’elle a de plus complexe et problématique. En effet, ce n’est pas l’ennui qui est fui par Adam et Eve, mais l’oisiveté stérile, les eaux dormantes de la jouissance, les adhérences et l’encroutement provoqués par la passivité. Ce n’est pas parce que le travail occupe qu’il faut y mettre les enfants (sinon, autant les installer devant le premier dvd venu, cela les occupera tout autant), mais c’est parce qu’il provoque une mise à distance de soi même : « tout rempli du but qu’il a devant les yeux, il ne se sente pas lui-même ». C’est qu’en effet, le travail consiste à viser un état des choses qui n’est pas encore donné, mais qu’il s’agit d’obtenir en fournissant un effort : concevoir le monde tel qu’il n’est pas, c’est prendre de la hauteur par rapport aux choses telles qu’elles sont. C’est aussi prendre de la hauteur par rapport à soi, puisque on va soi même se former afin de mener à bien le projet. Ainsi, par le travail, on ne se sent pas soi même, on est déjà un autre. De plus, participant au travail commun de l’humanité, formant un chainon dans le processus de transmission de génération en génération de la culture qui permet de participer à son tour à la construction du monde, chacun prend conscience dans le travail du caractère insuffisant de sa personne, de la nécessité de la dépasser en la formant, et en faisant don aux héritiers de ce qu’on aura produit.
Transition
C’est en vertu de ce principe que Kant établit la nécessité de faire travailler les enfants : l’accoutumance à la contemplation naïve est suffisamment plaisante pour les enfants, et complaisante chez les adultes pour réclamer de la méfiance. Tout repos qui précèderait le mouvement serait un non sens et une perte, puisqu’humain, l’enfant ne l’est que potentiellement, et que ce potentiel ne se réalisera pas en laissant aller la spontanéité touchante des mineurs, mais en les contraignant à doubler cette « nature » par une nature spécifiquement humaine appelée « culture ». Et le vecteur de cette transformation, comme on l’a vu, c’est le travail. Reste néanmoins un problème que le texte, en l’état, ne résout pas : si le travail s’avère nécessaire à former un homme, il n’en demeure pas moins que tout travail n’est pas humanisant, et que c’est précisément la raison pour laquelle on cherche à en protéger l’enfant. C’est là un paradoxe qu’il nous faut encore élucider.
2 – Mise en perspective du texte
A – Le travail de l’enfant ne peut consister à produire que lui-même.
En effet, prise au pied de la lettre, l’argumentation de Kant pourrait donner l’impression qu’il s’agit de mettre adulte et enfant à égalité devant le travail, le mineur n’y échappant pas plus que le majeur ; et on voit bien ce que certains gagneraient à lire en ce texte un plaidoyer en faveur de l’utilisation d’enfants sur les chaines de production. Après tout, si c’est là l’aboutissement de leur trajectoire, autant les y habituer dès le plus jeune âge. On les habitue bien à consommer, pourquoi ne pas les entrainer à produire ? Ce serait pourtant un contresens, car ce n’est pas là le travail auquel Kant destine les enfants, pour la simple raison qu’à strictement parler, ce à quoi on peut utiliser les enfants dans les domaines de production ne relèvent pas pour eux d’un véritable travail, pas plus qu’il ne l’est pour des adultes. Car la vertu du travail, on l’a lu chez Kant, c’est précisément d’être à même de mener l’humain potentiel vers l’humanité. Le travail se doit donc d’être humanisant, et pour cela il doit permettre de développer les aptitudes qui sont spécifiques à l’homme. Marx constitue sur ce terrain un laboratoire d’analyse efficace quand il diagnostique le travail comme dégradé, dégradant et aliénant dès lors qu’il enferme celui qui le pratique dans les déterminismes naturels qui consistent à se limiter à la stricte survie : gagner de quoi vivre, et reconstituer sa force de travail afin d’avoir quelque chose à vendre le lendemain, et tant pis pour les épuisés. Mais le travail n’est pas essentiellement aliénant, y compris chez Marx, puisqu’il lui reconnait en lui ce qui caractérise en propre l’être humain par rapport aux animaux. Encore faut il que les conditions sociales dans lesquelles il est pratiqué ne le dénaturent pas. En d’autres termes, il est nécessaire que le travail permette à l’homme de se constituer en tant qu’être humain tout autant qu’il modifie le monde selon les formes qu’il a lui-même conçues, ce qui signifie qu’il faut, au moins, que le produit de son travail ne lui soit pas subtilisé.
B – L’enfant ne doit pas être protégé du travail, mais du travail aliéné et aliénant.
A cette condition, on peut concevoir le travail comme suffisamment humanisant pour qu’on le destine tout particulièrement aux enfants, qui vont par ce moyen, tout à la fois se confronter au monde, à ses résistances, à ses possibilités, et à eux-mêmes. Si on voulait tracer ici une parallèle avec la dialectique du maître et de l’esclave telle que Hegel la décrit dans sa Phénoménologie de l’Esprit, on pourrait dire que le travail de l’enfant est peut être précisément ce travail qui peut être reconnu par autrui sans que ce processus s’effectue dans des relations de domination, puisque l’objectif est bien l’émancipation du jeune travailleur : il ne travaille que pour lui, devant autrui. La reconnaissance est le seul salaire, et il en tire lui-même tout le bénéfice. A l’inverse, même si l’idée est tentante, un enfant laissé à lui-même, livré à ses propres pulsions, contemplant ébahi le monde comme il le ferait d’un tapis de découverte géant, ne ferait à aucun moment l’objet d’une quelconque reconnaissance ; il serait objet parmi les objets, élément du monde parmi d’autres, matière à modeler qui ne parviendrait jamais à se modeler elle-même. En cela, on croit distinguer dans le texte de Kant une thèse opposée à celle de Rousseau qui, dans l’Emile, peut laisser penser qu’il faut laisser l’enfant livré à lui-même. Mais de nouveau, ce n’est pas parce que l’enfant chez Rousseau n’est pas mis au travail au sens que ce terme a généralement dans le milieu scolaire que pour autant il ne travaille pas. Lorsqu’il lui fait trouver l’endroit où se trouve un cerf volant à partir de la position de son ombre, c’est bien à un travail qu’il convie l’enfant. Mais il ne s’agit pas de produire autre chose que l’autonomie de l’enfant, qui demeurera son bien propre.
C – Le travail éducatif est en définitive le seul qui soit inaliénable.
Dès lors, on comprend que même si une lecture superficielle peut en donner l’impression, Kant n’a pas ici pour objectif d’occuper simplement les enfants pour qu’ils échappent à l’ennui. Ce serait là tomber dans un activisme stérile. Au contraire, le travail des enfants est celui qui doit les recentrer sur eux-mêmes, non pas en tant qu’enfants éternels, mais en tant que futurs adultes. C’est le travail qui leur permet de faire l’expérience de l’altérité, puisqu’ils se confrontent à une matière qu’il faut modeler, et qu’ils se voient eux-mêmes modifiés par le travail engagé, sous le regard des adultes qui les accompagnent. Loin de constituer une version enfantine du divertissement pascalien, des jeux et amusements au cours desquels on aime à se perdre soi même, le travail devient au contraire ce processus par lequel l’enfant a rendez vous avec l’adulte qu’il doit devenir. Quant à l’adulte, il est lui aussi dans des conditions privilégiées lorsqu’il est confronté à la responsabilité pédagogique puisqu’il a pour mission non pas de produire un objet, mais de produire un processus apte à se produire par soi même. L’éducation se trouve alors, de part et d’autres, être un travail idéal, puisqu’inaliénable : l’enfant travaillant ne produit que lui-même afin de s’appartenir pleinement quand il atteint la pleine autonomie, et l’adulte qui l’éduque en le mettant au travail voit le fruit de son travail s’appartenir pleinement, et échapper ainsi à toute appropriation. On ne le développera pas ici, parce que cela nous entrainerait trop loin, mais on mesure alors combien une éducation qui ne se donnerait comme objectif que l’employabilité du futur adulte serait un contresens puisqu’elle ne mettrait l’enfant au travail que dans la mesure où ce serait déjà là un investissement industriel misant non pas sur sa réalisation personnelle, mais sur l’emploi qu’on pourra faire de lui pour satisfaire des intérêts tiers. On le précise néanmoins pour éclairer de manière décisive la manière dont Kant prend bien soin de ne pas faire du travail de l’enfant un moyen de production parmi d’autres.
Conclusion
On pouvait craindre, en lisant à froid l’argumentation kantienne, qu’il s’agisse là d’un de ces textes qui ne reconnaissent à l’enfant aucune spécificité et attendent de lui qu’il se comporte comme l’adulte dès lors qu’il se tient sur ses pieds et peut se rendre par ses propres moyens au travail. Pourtant, en reconstituant ce qu’il appelle « travail » à travers la manière dont il affirme que c’est une activité à laquelle il faut habituer les enfants, on saisit qu’au contraire, c’est dans l’enfance qu’on peut espérer voir pratiquer un véritable travail, éloigné du simple maintien quotidien des conditions susceptibles de garantir la survie (ce sont précisément là les tâches que sont censés remplir les adultes afin que les enfants soient disponible pour le véritable travail). Parce que l’homme est un être qui se voit imposer par sa nature de se constituer par lui-même, et que cela constitue au sens propre un travail, on saisit bien le risque qu’il y aurait à se complaire, en tant que parents, dans une idéologie irresponsablement « cool », qui consisterait à laisser l’enfant vivre « sa propre vie », ne le soumettant jamais à aucune contrainte et l’exonérant de tout travail. Ce serait réduire l’enfant à un organisme de compagnie, plaisant dans sa spontanéité, figé dans la position soi-disant naïve d’un Adam dans lequel on aime voir notre origine, oubliant que l’homme est cet être pour lequel il s’agit moins d’inventer une provenance à contempler que de forger une orientation grâce à laquelle il pourra se réaliser.
Illustrations : le rédacteur est pris en flagrant délit de manque d’inspiration (et de temps, aussi). Résultat : association d’idées totalement superficielle. Enfant + travail = Doisneau. Toutes les photographies sont des oeuvres de Robert Doisneau, un des grands photographes d’enfants. Au delà de l’évidence (et dès lors, du caractère un peu convenu) de la référence, un intérêt tout de même : on sait que les clichés de Doisneau ont ceci de particulier qu’ils imitent à merveille le naturel tel qu’on se le figure tout en constituant en réalité de totales mises en scène. Le fameux baiser de l’hôtel de ville en est l’exemple le plus connu. Ainsi, ces élèves si naturellement pris en photo alors qu’ils sont plongés dans leurs devoirs, ou en train de regarder l’heure en douce, ou bien encore de copier sur leur voisin prennent il en réalité la pose, il font semblant, de sorte qu’ici, l’humanité si saisissante des photos n’est rien d’autre que le produit d’un travail. On n’en sort décidément pas.
Le blogue serait beaucoup plus invitant s’il était plus lisible, je souhaiterais que le fond soit blanc ou très pâle et la typo très foncée. A mon avis, on utilise les fonds noir pour de très brefs messages et non pour les textes destinés à la lecture. La nécessité fait la beauté.