Ceux qui ont lu, dans l’article précédent, les quelques pages que Fassbinder consacre à Douglas Sirk ont pu noter, au tout début du passage cité, l’évocation de Godard, à travers un article que Fassbinder intitule de manière un peu erronée, Le Temps d’aimer et le temps de mourir. En fait, le véritable titre de cet article est Des larmes et de la vitesse. Il porte bien, en revanche, sur le film de Douglas Sirk, Le Temps d’aimer et le temps de mourir, adaptation du roman de Erich Maria Remarque, intitulé, lui, Le Temps de vivre et le temps de mourir (Godard s’arrête d’ailleurs sur cette modification du titre).
Cette méditation de Godard sur Sirk fut publiée dans les Cahiers du cinéma d’Avril 1959, n° 94. On y remarquera à quel point la critique cinématographique consistait alors en une analyse approfondie des rapports complexes et uniques qu’entretiennent des images sur une toile (cf., d’ailleurs, la manière dont Godard parle de ces images, dont il lui semble qu’elles durent, chez Sirk, plus longtemps que chez les autres cinéastes) avec celui qui, amateur de cinéma, les reçoit. Nul autre que le Godard spectateur ne pourrait écrire de telles lignes, et elles sont pourtant une invitation à un cheminement esthétique que chacun peut faire sien. On travaillera bientôt sur les propositions de Kant en matière de définition du Beau. On verra que la visée de ses conceptions est universaliste, bien que s’appuyant sur la subjectivité. De tels textes, bien qu’éminemment subjectif (il s’agit du regard que Godard porte sur un film, selon sa propre culture, au sens large) sont sans doute une piste de compréhension de Kant, montrant que l’universalité n’est peut être pas à rechercher dans l’expérience concrète des oeuvres, mais dans le dialogue qui s’installe ensuite, entre les hommes, à leur sujet. Et on prendra à témoin, sur ce point, les dernières lignes de l’article, qui ont ce talent de susciter, définitivement, un autre regard du lecteur sur le moindre des travellings de Sirk. C’est ainsi que la sensibilité se cultive.
Voici cet article, tel qu’il était publié dans les Cahiers du Cinéma :