On déplorait, il y a quelques semaines, le peu de réflexion de fond sur la forme particulière qu’adoptent les oeuvres d’art plates lorsqu’elles simulent les trois dimensions en tentant d’échapper à la dure loi de la surface. On regrettait alors de devoir traquer cette réflexion dans les articles du New-Yorker, manquant de source en VF pour explorer ces nouveaux territoires immatériels (comme l’est toute visualisation de l’espace, non ?).
On est donc particulièrement satisfait de signaler que l’article qui nous manquait existe désormais. On le trouve dans la livraison d’Avril des Cahiers du Cinéma (dans lequel, promis, on n’a pas d’actions) qui consacre à la question tridimensionnelle une bonne part de ses pages. Justice semble rendue à Alice in Wonderland, de Burton, qui souffre dans la critique d’avoir été jugé selon les critères applicables aux autres films, comme si on avait mis à plat les couches qu’il superpose pourtant avec virtuosité, jouant non pas de simulation de la profondeur, mais justement de la représentation artificielle de celle-ci. Il y a dans ce film des espaces entre les surfaces, comme si le principe du split screen se déployait soudainement en relief, par dessus l’écran, qui est alors une surface parmi d’autres, un ground zero que le film prend soin de faire disparaître. Ce n’est peut être plus du cinéma, mais ça en émane, et peut être faudra t-il déployer de nouveaux outils d’analyse pour traiter de ces cas encore actuellement particuliers.
En particulier, l’article signé par Stéphane Delorme parvient avec une certaine pertinence à mettre en lumière les dogmes opposés développés dans Avatar, de Cameron, et dans Alice in Wonderland de Burton, installant ce qui constitue peut être un élément de fondation de ces nouveaux outils d’analyse, se permettant même de montrer ce que ce nouvel espace d’analyse permet, quand il s’agit d’envisager tel accessoire (le monocle du ver à soie, par exemple) comme un concentré low-tech de toute la machinerie mise en jeu par la production du film lui-même, un condensé du procédé en quelque sorte, dirigé vers le regard, ce que les êtres tridimensionnels semble acquérir en débordant l’écran par devant, et par derrière : S’ils viennent en relief vers nous, cela suppose dans la relation que nous entretenons avec eux, qu’ils soient aussi dotés d’un intérieur, d’une face sous la surface. Dès lors, l’artifice 3D, au delà de l’usage purement pyrotechnique qu’on ne manquera pas d’en faire, pourra aussi s’entendre comme un retour du cinéma à ses sources, à ses racines lumineuses, que sont les jeux avec la surface. Ajoutons enfin que l’article a le talent de reconnaître que certains des concepts permettant de saisir cette nouvelle topologie cinématographique existaient déjà, qu’ils attendaient tapis dans l’ombre des pages de quelques livres. Ainsi, la réactivation de Deleuze, et la citation des quelques lignes de Logique du sens, dans lesquelles il s’intéresse précisément à Lewis Carroll, donnent un peu la même impression que la réactivation de Jetfire; le vieux Decepticon passé à l’ennemi dans le second volet des Transformers (daisons raler les puristes !) : une puissance révélée. C’est sans doute à ce genre de réveil qu’on mesure la pertinence d’une pensée. Elle est ici éclatante.
Tout ça, et bien d’autres choses encore se passe dans le n°655 des Cahiers du Cinéma, d’Avril 2010. Et on conseillera aussi la lecture du numéro précédent, qui défrichait déjà ce terrain.