Pondichéry n’est pas le seul lycée à anticiper les épreuves du baccalauréat. Le lycée français de Washington participe lui aussi de cet empressement à vérifier l’aptitude de ceux qui sont encore lycéens cette année à ne plus l’être l’année prochaine. Nouvelle salve de sujets, qui ne sont évidemment toujours pas ceux du 17 Juin en métropole, mais qui donnent une certaine idée du style (désormais résolument classique) et des préoccupations des sujets de l’année (qui ressemblent beaucoup à ceux des années précédentes).
Une indication intéressante, tout de même : en série littéraire, la question de l’interprétation apparaît. Il y avait jusque là une frilosité à aborder les notions fraichement mentionnées au programme. Peu à peu, elles osent se poster au centre de problématiques qui peuvent surprendre des candidats encore peu entrainés à de telles questions. Mais après tout, ce sont là les meilleures conditions pour mener une réflexion par soi même, sans reproduire et plaquer artificiellement des schémas de pensée déjà utilisés ailleurs. Et même s’il est vrai que peu de cours spécifiques sont proposés, au cours de l’année, sur la question de l’interprétation, un rapide passage au scanner de la mémoire dont on dispose sur l’année écoulée permet de réaliser que ce concept fut abordé, à de multiples reprises, dès lors qu’il s’agissait de recherche de la vérité, d’art, de psychanalyse ou de science humaines. Ainsi, même si c’est là un sujet encore inhabituel, aucun candidat n’est censé s’être trouvé là dans un domaine tout à fait inconnu.
Voici donc, pour les trois séries générales, les sujets proposés cette année à Washington :
Série L
Sujet n° 1 – Dissertation : Une théorie est-elle une interprétation du réel ?
Sujet n° 2 – Dissertation : Les machines nous libèrent-elles du travail ?
Sujet n° 3 – Explication de texte : Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation
“Seules (…) la douleur et la privation peuvent produire une impression positive et par là se dénoncer d’elles-mêmes ; le bien-être, au contraire, n’est que pure négation. Aussi n’apprécions-nous pas les trois plus grands biens de la vie, la santé, la jeunesse et la liberté, tant que nous les possédons ; pour en comprendre la valeur, il faut que nous les ayons perdus, car ils sont aussi négatifs. Que notre vie était heureuse, c’est ce dont nous ne nous apercevons qu’au moment où ces jours heureux ont fait place à des jours malheureux. Autant les jouissances augmentent, autant diminue l’aptitude à les goûter : le plaisir devenu habitude n’est plus éprouvé comme tel. Mais par là-même grandit la faculté de ressentir la souffrance ; car la disparition d’un plaisir habituel cause une impression douloureuse. Ainsi la possession accroît la mesure de nos besoins, et du même coup la capacité de ressentir la douleur. – Le cours des heures est d’autant plus rapide qu’elles sont agréables, d’autant plus lent qu’elles sont plus pénibles ; car le chagrin, et non le plaisir, est l’élément positif, dont la présence se fait remarquer. De même nous avons conscience du temps dans les moments d’ennui, non dans les instants agréables. Ces deux faits prouvent que la partie la plus heureuse de notre existence est celle où nous la sentons le moins ; d’où il suit qu’il vaudrait mieux pour nous ne la pas posséder.”
Série ES
Sujet n° 1 – Dissertation : Peut-on agir avec des mots ?
Sujet n° 2 – Dissertation : Est-ce un devoir que d’être soi-même ?
Sujet n° 3 – Explication de texte : Russell, Le Mariage et la morale
“La question du libre arbitre demeure (…). Quelles que soient les considérations auxquelles on se livre sur le plan de la haute métaphysique, il est bien évident que personne n’y croit en pratique. On a toujours cru qu’il était possible de former le caractère ; on a toujours su que l’alcool ou l’opium ont quelque influence sur le comportement. Le défenseur du libre arbitre soutient qu’on peut à son gré éviter de s’enivrer, mais il ne soutient pas que lorsqu’on est ivre, on puisse articuler les syllabes de la Constitution britannique de manière aussi claire qu’à jeun. Et quiconque a eu affaire à des enfants sait qu’une éducation convenable contribue davantage à les rendre sages que les plus éloquentes exhortations. La seule conséquence, en fait, de la théorie du libre arbitre, c’est qu’elle empêche de suivre les données du bon sens jusqu’à leur conclusion rationnelle. Quand un homme se conduit de façon brutale, nous le considérons intuitivement comme méchant, et nous refusons de regarder en face le fait que sa conduite résulte de causes antérieures, lesquelles, si l’on remontait assez loin, nous entraîneraient bien au-delà de sa naissance, donc jusqu’à des événements dont il ne saurait être tenu pour responsable, quelque d’effort d’imagination que nous fissions.”
Série S
Sujet n° 1 – Dissertation : Est-il raisonnable de prétendre posséder la vérité ?
Sujet n° 2 – Dissertation : Peut-on ne pas connaître son bonheur ?
Sujet n° 3 – Explication de texte : Hume, Traité de la nature humaine
“C’est par la société seule que l’homme est capable de suppléer à ses déficiences, de s’élever à l’égalité avec ses compagnons de création et même d’acquérir sur eux la supériorité. La société compense toutes ses infirmités; bien que, dans ce nouvel état, ses besoins se multiplient à tout moment, ses capacités sont pourtant encore augmentées et le laissent, à tous égards, plus satisfait et plus heureux qu’il lui serait jamais possible de le devenir dans son état de sauvagerie et de solitude. Quand chaque individu travaille isolément et seulement pour lui-même, ses forces sont trop faibles pour exécuter une oeuvre importante ; comme il emploie son labeur à subvenir à toutes ses différentes nécessités, il n’atteint jamais à la perfection dans aucun art particulier ; comme ses forces et ses succès ne demeurent pas toujours égaux à eux-mêmes, le moindre échec sur l’un ou l’autre de ces points s’accompagne nécessairement d’une catastrophe inévitable et de malheur. La société fournit un remède à ces trois désavantages. L’union des forces accroît notre pouvoir; la division des tâches accroît notre capacité; l’aide mutuelle fait que nous sommes moins exposés au sort et aux accidents. C’est ce supplément de force, de capacité et de sécurité qui fait l’avantage de la société.”