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On ne le sait pas assez (qui le sait d’ailleurs ?), chaque troisième jeudi de Novembre, depuis 2002, on célèbre la journée mondiale de la philosophie. Ainsi, aujourd’hui même, au siège de l’Unesco, pour fêter ça, est organisée une ronde de tours de table à propos de diverses questions susceptibles d’être abordées par la philosophie ; l’universel et la diversité, le combat pour la raison, la notion de civilisation seront autant de thèmes abordés, à côté de réflexions souvent consacrées au dialogue entre pensées du nord, et du sud de la méditerranée.
Mais comme sans école, la fête est moins folle, c’est ce jour qui est choisi par le ministre de l’éducation nationale Luc Chatel pour annoncer l’ouverture d’un chantier que de nombreux professeurs de philosophie, quelques collègues et beaucoup de parents d’élèves réclament depuis maintenant longtemps : l’accès, dès la classe de seconde, à l’enseignement de la philosophie. Car jusqu’à maintenant, à moins de faire preuve d’une démarche philosophique autonome, les lycéens, y compris en filière littéraire, ne rencontrent cette discipline (pour ces derniers majeure, déterminante quant à leur résussite à l’examen, et censée être au centre des raisons pour lesquelles ils ont choisi cette filière) qu’en classe de terminale. L’annonce, qui va bien énerver les collègues enseignant la littérature, puisque leur Princesse de Clèves fut déclarée inutile quand la philosophie est jugée centrale et essentielle, bien qu’elle se prétende elle même inutile (à moins que cette annonce ci serve aussi à réparer les dégats d’image provoqués par cette annonce là), est une assez bonne nouvelle : enfin, des élèves pourront s’engager en filière littéraire en connaissance de cause, n’avançant pas en première comme s’ils avaient un bandeau sur les yeux sur un terrain dont ils pensent qu’il s’achève par un champs de mines dont ils n’ont, bien sûr, pas la carte. Au moins aurons-nous un cadre dans lequel accompagner les élèves, pendant ces trois années que dure le lycée, dans une réflexion suivie qui permette de constituer un savoir articulé autour d’un axe, et qui ne consiste pas à intégrer des compétences comme on juxtapose des « apps » dans un i-quelquechose.
Reste que tombant le lendemain de la sortie au cinéma du documentaire de Jean-Pierre Pozzi et Pierre Barougier Ce n’est qu’un début, cette initiative semble presque timide, puisque cela fait maintenant longtemps que Jean-Pierre Pozzi multiplie les expériences de discussions philosophiques entretenues dans des classes maternelles. Dès lors, philosopher (puisqu’il ne peut s’agir que de cela, et certainement pas d’inculquer des connaissances philosophiques pour elles mêmes) avec des adolescents semble un peu moins aventureux. Après tout, poser des questions essentielles à des jeunes qui, de fait, dans cette charnière existentielle, sont confrontés à ces questions, cela semble relever du simple bon sens : plutôt que faire entrer de force un questionnement chez ceux qui ne le veulent pas, il parait judicieux de prendre au bond un questionnement qui s’impose par lui-même. Cela évitera de plus de voir arriver en terminale des élèves déjà pétris d’idées arrêtées à un âge où, précisément, on est en mesure de mener par soi même des expériences de pensée.
D’autre part, l’annonce n’en est qu’à moitié une, les élèves de seconde du lycée Maupassant de Colombes savent que l’expérimentation devance la proposition ministérielle, puisqu’ils peuvent déjà suivre un enseignement d’exploration sur l’altérité dans lequel interviennent des enseignants d’histoire, de littérature et de philosophie (moi-même, en fait, sans vouloir jouer les profs 2.0). Il suffisait de le faire, en somme.
Aux élèves de terminale, on conseillera non pas de retourner en seconde pour bénéficier d’un cursus philosophique mieux réparti sur leurs trois années lycéennes, mais d’aller voir Ce n’est qu’un début, car ils y découvriront que ce mouvement de pensée qu’ils ont tant de mal à structurer en eux, comme s’il fallait entièrement l’intégrer depuis l’extérieur de sa pensée, ils l’ont en fait déjà vécu par eux-mêmes, alors que leur pensée n’était pas suffisamment figée pour se fixer définitivement sur des schémas définis une fois pour toute, et qu’elle tendait naturellement à la critique, à la remise en question, à l’ébauche d’hypothèses. Ceux qui ont lu l’introduction à la philosophie de Jaspers auront pu constater à quel point la racine du questionnement philosophique plonge loin dans l’enfance. Et s’il ne s’agit pas de revenir vers une quelconque naïveté, c’est bien cependant un rapport au monde purifié de toute forme d’idéologie qu’il faut viser, ce à quoi les enfants parviennent sans peine (même si le documentaire montre clairement que les enfants sont des cages de résonnance étonnantes des idéologies de leur entourage).
On conseillera aussi la lecture d’Epicure, qui tombe à point nommé, puisqu’on parlait de Lucrèce dans l’article précédent. Dans sa Lettre à Ménécée, il pose en effet la question de l’âge idéal auquel on pourrait philosopher. Comme c’est au début de sa Lettre qu’Epicure aborde la question, on ne s’étonnera pas que cela commence ainsi :
« Salut,
Qu’on ne remette pas à plus tard, parce qu’on est jeune, la pratique de la philosophie et qu’on ne se lasse pas de philosopher, quand on est vieux. En effet, il n’est, pour personne, ni trop tôt ni trop tard, lorsqu’il s’agit de veiller à la santé de son âme. D’ailleurs, celui qui dit que le moment de philosopher n’est pas encore venu, ou que ce moment est passé, ressemble à celui qui dit, s’agissant du bonheur, que son moment n’est pas encore venu ou qu’il n’est plus. Aussi le jeune homme doit-il, comme le vieillard, philosopher : de la sorte, le second, tout en vieillissant, rajeunira grâce aux biens du passé, parce qu’il leur vouera de la gratitude, et le premier sera dans le même temps jeune et fort avancé en âge, parce qu’il ne craindra pas l’avenir. Il faut donc faire de ce qui produit le bonheur l’objet de ses soins, tant il est vrai que, lorsqu’il est présent, nous avons tout et que, quand il est absent, nous faisons tout pour l’avoir. »
Et si on a Epicure en tête à la fin du documentaire de Pozzi et Barougier, on aura saisi que s’il n’y a pas d’âge pour débuter, c’est qu’en philosophie c’est le cheminement lui même qui est, quelle que soit la distaince déjà parcourue, toujours un début.
Lien vers le site du documentaire : http://www.cenestquundebut-lefilm.com/
Lien vers le programme de la journée mondiale de la philosophie, organisée par l’Unesco (c’est un peu trop tard, mais peu importe : nous n’avions pas pensé à demander une invitation, rendez vous donc l’année prochaine… ) : http://www.unesco.org/new/fr/social-and-human-sciences/themes/human-rights/philosophy/philosophy-day-at-unesco/philosophy-day-2010/
C’est vrai il n’y a pas d’âge pour philosopher ! S’arrêter de penser et de remettre en question nos croyances, c’est la mort !