« En voyant l’aveuglément et la misère de l’homme, en regardant tout l’univers muet et l’homme sans lumière abandonné à lui-même et comme égaré dans ce recoin de l’univers sans savoir qui l’y a mis, ce qu’il y est venu faire, ce qu’il deviendra en mourant, incapable de toute connaissance, j’entre en effroi comme un homme qu’on aurait porté endormi dans une île déserte et effroyable et qui s’éveillerait sans connaître et sans moyen d’en sortir. »
Pascal, Pensées 693
Peut-on aimer une oeuvre d’art sans la comprendre ? On a longuement (trop, au regard du temps disponible, pas assez, au regard de son importance) traité cette question en cours; le problème est, lui, souvent posé aux bacheliers. On va proposer ici une nouvelle pièce à ce dossier, afin d’ouvrir la réflexion à de nouveau champs.
A partir de Lost, pour peu que cette expression puisse avoir un sens, ou plutôt pour tous les sens que puisse avoir cette expression, voici un bel exercice d’exégèse permettant de se faire une idée de ce que l’ambition de « comprendre » une oeuvre d’art peut supposer.
Pacôme Thiellement est l’auteur de plusieurs ouvrages abordant aussi bien Led Zeppelin, David Lynch ou Lost sous l’angle de l’ésotérisme, de l’analyse symbolique, puisant dans des références inhabituelles pour nous, qui travaillons surtout dans la perspective rationnelle démonstrative, et sommes peu accoutumés à un véritable travail d’interprétation. Ces références ne relèvent pas, chez Thiellement, d’un simple exotisme. Elles sont plutôt l’écho de l’enjeu profond de sa réflexion, qui met en doute la pensée telle que l’Occident l’a circonscrite, et essaie de proposer une nouvelle orientation, ou une nouvelle conception de la notion d’orientation, nous tournant la tête afin qu’on regarde vers le soleil levant.
Que sa perspective de recherche trouve, dans Lost, un terrain propice aux approfondissements, on n’en est pas vraiment surpris : comme lui-même en installe l’idée au début de son intervention, il s’agit d’une série qui met en scène des égarés, pour un spectateur lui-même largué. On ne s’étonnera d’ailleurs pas, non plus, que la première question posée, au cours de l’échange avec le public qui clôt la conférence, porte sur le fait que les scénaristes soient eux mêmes un peu perdus dans leur propre création.
La réflexion esthétique, c’est justement celle qui porte sur un jugement qui ne peut pas être établi en fonction de concepts, ou de repères fermes et établis. Le véritable esthète est celui qui parvient à bien juger tout en ayant perdu le nord, laissant le territoire le guider. Cette conférence tente, non pas, de proposer une boussole plus efficace, mais d’aider à accepter l’absence de repères, à goûter l’égarement pour lui-même.
Ce faisant, un des intérêts, et non des moindres, de cette intervention de Pacôme Thiellement, c’est de donner une furieuse envie d’aller découvrir ces littératures, cette pensée dans lesquelles Lost plonge ses plus lointaines racines. En particulier, il semble impossible d’écouter cette conférence sans aller de ce pas lire tout ce qu’Henry Corbin a rendu disponible à propos de Sohrawardi, tant son Récit de l’exil occidental semblerait pouvoir être le sous titre de la série à laquelle on s’intéresse ici.
On trouvera peut être Pacôme Thiellement un peu déroutant par moments. Mais d’une part, sur un tel sujet, être déroutant est plutôt une qualité, et si on n’écoute pas les autres, si on ne les rencontre pas pour être dérouté, à quoi bon ?
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On trouvera, sur le site du forum des images, les liens vers ces cours de cinéma, proposés gratuitement chaque vendredi soir, et disponibles en vidéo : http://www.forumdesimages.fr/fdi/L-Academie/A-voir-a-ecouter/Les-Cours-de-cinema-en-video
Pacôme Thiellement est, lui, l’auteur de l’ouvrage Les mêmes yeux que Lost (2001, au x éditions Leo Scheer, dans cette intéressante collection « Variations »), et pour mes élèves, on précisera qu’il est disponible au CDI du lycée.