On pourrait croire que l’art du loisir s’est perdu au fil du temps, rendu impossible par la disparition de l’esclavage et l’introduction graduelle de la consommation, dont on se rend finalement assez peu compte à quel point elle n’en est qu’un piètre ersatz. Et en classe tout comme dans les réflexions plus personnelles qu’on peut mener sur cette question, le territoire du travail qui est davantage qu’une tâche semble coïncider étroitement avec ce domaine qu’on appelle « l’art », qui est théoriquement débarrassé des questions parasites de la valeur d’usage et de et de la valeur d’échange.
On ne s’étonnera pas, dès lors, de lire chez les artistes des propos lucides permettant de distinguer et hiérarchiser les différents niveaux de travail puisque, on l’aura compris, derrière un même mot se tient aussi bien ce qui mérite qu’on s’y consacre et nous libère, que ce que par quoi et en quoi nous sommes aliénés.
Dans la revue Standard, fraîchement découverte, en plein été flemmard alors qu’elle en était à son numéro 36, on découvre tout un dossier consacré à l’oisiveté. Rudement bien mené, long comme il se doit lorsqu’on veut consacrer un temps dont généralement on ne dispose pas à se qui a plus d’importance que à quoi on consacre tout son temps, il est une mine de documents et références qu’on ne croise pas souvent. Autant de filons à explorer dans de futures périodes de liberté.
Entre autres, on croise ce texte du peintre Joan Miro, extrait de son ouvrage, Ceci est la couleur de mes rêves (1977)
« Ma vie est une vie intellectuelle complète. Tous les jours, je me lève vers huit heures, je fais ma toilette, et je descends dans l’atelier où je travaille jusqu’à l’heure du petit déjeuner.. Puis je reprends jusqu’à deux heures. Je déjeune, je me repose vingt minutes et aussitôt après, je reprends le boulot ici. L’après midi, je revois ce que j’ai fait le matin et je prépare le travail du lendemain. Mais le moment où je travaille le plus, c’est de très bonne heure vers quatre heure du matin. Que je travaille le plus sans travailler. Dans mon lit. Entre quatre et sept heures, je suis complètement absorbé par mon travail. Puis, je me rendors entre sept et huit heures. »
Joan Miro
A la page 112 de ce numéro de Standard, ce texte est illustré d’un tableau de Miro, intitulé la Sieste (1925). Franchement, on ne pourrait pas trouver mieux, et je leur emprunte l’idée. On y lit aussi un commentaire de l’oeuvre qui permet de la goûter davantage, si on n’a pas le temps, ni le loisir, de lui accorder la contemplation à laquelle il invite. Mais peut être que lire un tel commentaire répond il à un principe de productivité qui est le contraire même de cette invitation. On est tenté de conseiller de ne rien lire à son sujet, et de se laisser porter, en lui faisant confiance, et en se faisant confiance aussi. Après tout, la sieste est l’art de ceux qui n’ont rien, et surtout pas du temps, à perdre. L’oeuvre fait partie des collections du Centre Pompidou, on peut l’y voir.