Une âme charitable a diffusé sur un réseau social bien connu le texte proposé cette année au Capes de philosophie.
Est-il pertinent de le partager ici ?
Disons que l’apprenti perchiste peut s’autoriser à jeter un coup d’oeil à la barre des six mètres.
Et si nous plaidions dans le post précédent en faveur d’une interprétation des textes sacrés qui soit ouverte à tous ceux qui veulent faire preuve de bonne volonté, il n’y a pas de raison de ne pas étendre ce principe à l’ensemble des textes, même si ici, une certaine technicité peut faire obstacle à la compréhension. Mais on l’a dit : qu’un texte soit complexe est une promesse davantage qu’un obstacle.
Voici donc cette barre des six mètres, qui a tout à voir avec l’article précédent. On adresse un clin d’oeil à certains de nos élèves qui reconnaîtront certaines de leurs paroles prononcées en cours dans la formule « Je crois parce que c’est impossible », formule à laquelle on pourrait tout à fait prêter raisons.
Dès que nous aurons un peu de temps à lui consacrer, nous nous plierons à notre tour à l’exercice, moins pas défi que par intérêt pour ce texte de Locke.
« Tout ce que Dieu a révélé est certainement véritable, on n’en saurait douter. Et c’est là le propre objet de la foi. Mais pour savoir si le point en question est une révélation ou non, il faut que la raison en juge, elle qui ne peut jamais permettre à l’esprit de rejeter une plus grande évidence pour embrasser ce qui est moins évident, ni se déclarer pour la probabilité par opposition à la connaissance et à la certitude. Il ne peut point y avoir d’évidence, qu’une révélation connue par tradition vient de Dieu dans les termes où nous la recevons et dans le sens où nous l’entendons, qui soit si claire et si certaine que celles des principes de la raison. C’est pourquoi nulle chose contraire ou incompatible avec des décisions de la raison, claires et évidentes par elles-mêmes, n’a droit d’être sollicitée ou reçue comme une matière de foi à laquelle la raison n’ait rien à voir. Tout ce qui est révélation divine doit prévaloir sur nos opinions, sur nos préjugés et nos intérêts, et est en droit d’exiger un parfait assentiment. Mais une telle soumission de notre raison à la foi ne renverse pas les limites de la connaissance, et n’ébranle pas les fondements de la raison, mais nous laisse cet usage de nos facultés pour lequel elle nous ont été données.
Si l’on n’a pas soin de distinguer les différentes juridictions de la foi et de la raison par le moyen de ces bornes, la raison n’aura absolument point de place en matière de religion, et l’on n’aura aucun droit de blâmer les opinions et les cérémonies extravagantes qu’on remarque dans la plupart des religions du monde ; car c’est à cette coutume d’en appeler à la foi par opposition à la raison qu’on peut, je pense, attribuer, en grande partie, ces absurdités dont la plupart des religions qui ont pouvoir sur le genre humain et le divisent, sont remplies. Car les hommes ayant été une fois imbus de cette opinion, qu’ils ne doivent pas consulter la raison dans les choses qui regardent la religion, quoique visiblement contraires au sens commun et aux principes de toute leur connaissance, ils ont lâché la bride à leurs fantaisies, et au penchant qu’ils ont naturellement vers la superstition ; par où ils ont été entraînés dans des opinions si étranges, et dans des pratiques si extravagantes en fait de religion, qu’un homme raisonnable ne peut qu’être surpris de leurs folies, et que regarder ces opinions et ces pratiques comme des choses si éloignées d’être agréables à Dieu, grand et sage, qu’il ne peut s’empêcher de penser qu’elles paraissent ridicules et choquantes à tout homme de bien et de modération. De sorte que dans le fond la religion, qui devrait nous distinguer le plus des bêtes, et contribuer plus particulièrement à nous élever comme des créatures raisonnables au-dessus des brutes, est la chose en quoi les hommes paraissent souvent le plus déraisonnables, et plus insensés que les bêtes mêmes. Credo, quia impossibile est : Je le crois parce qu’il est impossible*, est une maxime qui peut passer dans un homme de bien pour un emportement de zèle ; mais ce serait une fort mauvaise règle pour déterminer les hommes dans le choix de leurs opinions ou de leur religion. »
John Locke, Essai philosophique concernant l’entendement humain, Livre IV, Chapitre XVIII, traduction par Pierre Coste
Une petite précision adressée à ceux pour qui le nom « John Locke » évoque davantage un personnage majeur de la série Lost qu’un philosophe anglais du dix-septième siècle : les homonymies ne sont jamais des hasards, et surtout pas dans Lost. Et dans cet extrait, on en saisit l’un des aspects : le John Locke fictif est littéralement habité par ce problème que le John Locke traite ici.