Désattraction des astres

In 24 fois la vérité par seconde, Actualité, Bonus, Deadlines, Kubrick
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à propos de la projection de 2001, l’Odyssée de l’espace,
ce soir même, au cinéma Landowski de Boulogne-Billancourt
(plus d’informations sur la soirée ici : http://www.cinemaboulogne.com/film.php?id=106)

à propos aussi de la projection, un peu partout, de Gravity.

Tout le synopsis de Gravity pourrait tenir dans le petit bond comique qu’effectue Shariff, ce personnage sans visage (et ce pour de multiples raisons qu’on ne dévoilera pas ici), accroché à une de ces sangles qui sont, le film durant, comme autant de cordons ombilicaux auxquels Ryan Stone s’agrippera, mue par un élan vital censé être celui du vivant dans sa totalité (ce que ce docteur peine peut être imageun peu à incarner tout à fait). Alors que Kowalski s’offre un dernier petit plaisir hors atmosphère, errant et divaguant autour de la navette américaine, apparemment sans but et sans trajectoire (mais les amateurs de films de bagnoles savent que Kowalski est le nom du héros de l’un des plus beaux road-movies de l’histoire du cinéma), et pendant que le docteur Stone se concentre sur une réparation compliquée, Shariff, lui , s’amuse à se propulser hors de la navette, à la force des bras, pour n’être retenu que par sa sangle, comme on saute d’un pont avec une corde aux pieds. Gravity est un film qui, se lançant lui aussi la corde aux pieds, ne parvient pas à échapper à la force qui lui donne son nom, et n’atteint jamais la profondeur à laquelle il prétend, malgré son déploiement en relief.

Ce mouvement d’aller retour un peu brusque, c’est celui que suit le film Gravity dans son ensemble, ce qui permet de dire, d’ailleurs, que ce n’est presque pas un film spatial, tant la Terre y est omniprésente. Le final nous laisse même penser qu’après tout, le vide de la proche banlieue terrestre, ou l’eau, c’est du pareil au même : ce ne sont que des environnements différents, tous rattachés au plancher des vaches, tout cela tenant ensemble par cette force que la masse planétaire exerce sur tout ce qui s’en approche. Après tout, la gravité est le meilleur des cordons ombilicaux, le plus solide fil à la patte pour ceux  qui préfèrent la navigation côtière.

Kowalski fait partie, lui, de ceux chez qui l’appel du grand large trouve un écho favorable. Mais le film, lui, choisit de délaisser le vertige de la haute mer, l’effroi du silence des espaces infinis, pour ne se laisser que la planète Terre comme horizon (même ce continent si proche qu’est la Lune est délaissé, absent de l’écran, toutes faces obscurcies par la cécité spatiale, comme si l’objectif de la caméra était lui-même la proie de cette gravité terrestre à laquelle rien de semble pouvoir s’arracher. Kowalski s’échappe, mais c’est un escapism à la manière platonicienne (ou dans le style de l’acquisition de la sagesse telle qu’on la propose dans Tintin et le lotus bleu) : pour échapper à l’attraction terrestre, il faut mourir, devenir simple idée. Alors seulement, on est libre (le Kowalski de Vanishing Point connait aussi ce genre de trajectoire, mais à l’issue d’une course effrénée dont la percussion est le but, et non la cause accidentelle). D’aileurs, sans doute est ce ainsi qu’il faut lire le curieux personnage qu’est ce spationaute aguerri, dont le caractère énigmatique est renforcé par le fait qu’il soit incarné par la vedette des publicités Nespresso, dans lesquelles il affiche la même coolitude, la même ironie, qui sont autant de signes qu’il a coupé le cordon ombilical, autant de preuves de détachement. Mais voilà, la gravité ne s’appliquant qu’à la matière, Kowalski devenant pure idée, et Gravity tournant le dos aux aspirations lointaines, on oublie Kowalski et on se laisse entraîner par Stone qui, comme son nom l’indique, ne peut que retomber, quelle que soit la force avec laquelle on la propulse (d’ailleurs, qu’on relise cette lettre de Spinoza à Schuller (ici par exemple), en imaginant qu’il ne s’agisse pas d’une pierre, mais d’un personnage nommé Stone, et on comprendra alors le sens secret que peut avoir, pour Ryan Stone, l’expression « chute libre », et la comprendra d’autant plus que cette gravité se trouve être, pour elle, en même temps la force extérieure qui crée l’impulsion, mais aussi son désir profond, comme si l’excursion hors de la planète permettait de comprendre que,vue  depuis l’espace, la Terre est cette étoile perdue à laquelle on a été arraché, et vers laquelle on tend, ressourçant, en la renversant, l’étymologie du désir [de sidus] ).

Film spatial pour temps de crise, Space Opera pour une humanité qui joue petit bras, Gravity n’est finalement que ce qu’il est, et s’il raconte l’histoire d’une femme, il ne parvient pas à entraîner l’humanité derrière lui.

Aussi sera t-on heureux d’apprendre que ce soir même, malgré la couverture nuageuse, au cinéma Landowski (qui se trouve à Boulogne-Billancourt, c’est à dire pas très loin, pour nous autres qui sommes sur Terre), les regards pourront se tourner non seulement vers les espaces lointains, mais aussi vers les temps éloignés. En efffet, en ce lundi 4 novembre 2013, on diffuse 2001, l’Odyssée de l’espace, de Stanley Kubrick. Bien que sorti en 1969, il demeure encore ce mètre-étalon auquel on confronte tout film dans lequel l’être humain se trouve propulsé au delà de la stratosphère. Autant dire que, par rapport aux ambitions de Kubrick, le film ‘Alfonso Cuarón Orozco porte assez bien son nom. Pas besoin de 3D pour un film qui n’oublie pas qu’il manie du temps avant de manipuler des images, parce que c’est de là que naît le mouvement, record du monde de la plus vaste ellipse de l’histoire du cinéma, mais surtout, altitude hors normes en matière d’ambitions métaphysiques. Si le foetus astral est le projet avorté, et le point de départ communs de Ryan Stone et d’Alfonso Cuarón, il est pour Kubrick tout à la fois une source et un horizon. Ce soir, quelque part à Boulogne-Billancourt, c’est ce foetus qui coupe lui-même le cordon ombilical de l’humanité.

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