On lit trop peu les préfaces des anthologies de textes philosophiques. Depuis des années trône sur mon bureau Les Pages les plus célèbres de la philosophie occidentale, de Denis Huisman et je n’avais fait attention qu’il avait été préfacé par Jean Guitton, qui est probablement le premier homme sur Terre qu’enfant, j’aie vu présenté, à la télévision, comme « philosophe ». Pour moi, pendant des années, un philosophe devait nécessairement prendre plus ou moins la forme de Jean Guitton (ou de Yoda, mais c’est une autre histoire), tant physiquement qu’intellectuellement, ce qui n’alla d’ailleurs pas sans quelques malentendus sur ce qu’est censée être la philosophie.
Or, feuilletant les premières pages de ce recueil, je découvre donc cette très courte préface de Jean Guitton, qui présente d’ailleurs les mêmes influences que les propos que je lui voyais tenir à la télévision ; influences que je vais un peu gommer, pour ne pas provoquer les mêmes malentendus. On y évoque ce que peut être l’enseignement de la philosophie, et les racines communes sur lesquelles peuvent s’appuyer, ensemble, les élèves et le professeur. Et derechef, on y installe Socrate en figure tutélaire, celui vers lequel peuvent se tourner, tant les élèves que le professeur, pour trouver une attitude dont ils pourront s’inspirer. Et comme on va le voir, au-delà d’un ancêtre commun, ce qu’il faut que maître et élèves partagent, ce sont des mots, car ils sont en définitive l’univers dans lequel on évoluera ensemble :
« Enseigner, c’est toujours écouter d’abord, se mettre à la place de l’autre, emprunter son langage, s’oublier donc soi-même ; puis, c’est, tout en parlant pour tous, tenter de s’adresser à chacun, c’est « dire quelque chose à quelqu’un » ; et dans le désir d' »éduquer » son public, de lui ouvrir un horizon jusqu’ici ignoré, de le faire monter d’un degré jusqu’à une perspective plus haute – afin que, vous ayant entendu, l’auditeur soit plus informé, plus apte au métier d’homme [Note ironique du moine copiste : il fut un temps où on parlait, quand il s’agissait d’éducation, de « métier d’homme », aujourd’hui nous disons « compétences », on mesure peut-être là le fossé qui peut séparer des projets pédagogiques pourtant peu éloignés par le temps]. Or cet exercice d’enseignement est plus facile lorsqu’on dispose d’un langage de spécialiste, assez sophistiqué, et qui n’exige pas de « se faire comprendre”.
Et il devient difficile, lorsqu’il faut traduire sa pensée dans une langue si simple, commune, élégante, enfantine ou populaire. Alors Socrate (le Socrate des premiers dialogues) devient notre modèle.”
Jean Guitton; préface du recueil Les Pages les plus célèbres de la philosophie occidentale, de Denis Huisman
On ajoutera que ce recueil fait partie de ceux qu’on conseillerait, tant à ceux qui découvrent la philosophie en Terminale, qu’à ceux qui souhaitent poursuivre, au-delà du lycée, la rencontre avec des hommes qui, depuis des siècles, partagent les mêmes inquiétudes, et scrutent les mots pour y trouver, ou y installer des points d’ancrage.
Bonjour,
Je n’ai pas lu ce livre. Mais je me permettrai de dire que s’il ne traite pas plus que les autres livres du genre de la philosophie hermétique, il sera tronqué. En effet, à mon sens, cette exclusion systématique qui dure depuis plusieurs siècles, et spécialement depuis Descartes et Mersenne, se doit d’être réparée au plus vite. Pour ceux qui étudient cette philosophie hermétique, son imprégation de tout l’occident est une telle évidence, que continuer à l’ignorer tient du complot ou de la stupidité.
La chose est très certainement réparable, vu le nombre d’éditions française de ces écrits. En ce qui me concerne je m’évertue à faire connaître Dorn et Paracelse (presque inconnus jusqu’ici) via les éditions BEYA, mais il y en a beaucoup d’autres. Quand daignera-t-on se mettre à jour avant que le ridicule n’éclate?