Veillée d’armes ce soir dans les chambrées. C’est le genre de crépuscule où le candidat au baccalauréat sait qu’il devrait aller dormir, et pourtant n’y va pas. Parce qu’on ne sait jamais, parce qu’on ne sait plus, parce qu’on ne sait même plus ce qu’on est censé savoir.
Bon, bonne nouvelle, ne pas savoir, c’est le point de départ de la philosophie, ce n’est donc pas tout à fait un défaut. Ou si c’est un défaut, c’est aussi une vertu. On ne peut pas s’en contenter, mais après tout, on peut faire, dans cette discipline, de ses défauts, un avantage, si on s’y prend bien.
Evidemment, c’est le dernier jour qu’on reçoit les mails qui posent les questions qui, si elles ne sont pas vraiment essentielles, reviennent sur les bases de ce qu’il faut maîtriser le lendemain. Ainsi, à l’instant, je tombe sur un mail, envoyé par Imad, qui pose la bonne question, mais un tout petit peu tard (mais tant qu’il n’est pas trop tard, c’est qu’il est encore temps !), et je suis sûr qu’il fait bien de la poser, parce que s’il se la pose, c’est que plein d’autres que lui se la posent aussi. Je la résume, elle tient en deux points :
Comment est constituée une introduction ?
Peut-on, ou doit-on mettre en oeuvre un plan du type « Thèse /Antithèse / Synthèse » ?
Si la question vaut la peine d’être posée, la réponse peut valoir le coup d’être lue. Ca n’a rien d’un cours de méthodologie. Ce ne sont que quelques rappels qui relèvent, en fait, du simple bon sens. Mais c’est peut être le genre de choses auquel on doit revenir quand, la nuit tombée, on se trouve un peu insomniaque devant l’enjeu du lendemain.
Voici donc ma réponse, en partage :
» Alors, pour l’introduction, il faut avant tout se souvenir quel est rôle de l’introduction : poser un problème. Et il ne suffit pas de répéter le sujet pour poser un problème. Il faut donc montrer les raisons pour lesquelles on ne peut pas répondre à la question posée, ce qui fait obstacle ; la plupart du temps, c’est dû au fait qu’un des termes du sujet, ou plusieurs, peuvent être définis de plusieurs manières différentes. Et chaque définition mène à une réponse différente au sujet. Ce sont ces différentes alternatives que l’introduction doit présenter.
Elle se présente donc sous la forme d’un paragraphe pas trop trop long, qui peut commencer par une phrase du genre « On dit souvent que…. », dans laquelle tu présentes une opinion assez communément répandue sur la question posée, et à un moment donné, il faudrait que tu fasses un énoncé du genre « Pourtant… », dans laquelle tu montreras pourquoi l’opinion commune ne suffit pas, pourquoi elle peut être remise en question. Et cette raison, en fait, vient des analyses conceptuelles que tu auras menées en préparant ta réflexion, au brouillon. A ce moment, tu peux écrire quelque chose comme « C’est pour ces raisons qu’on peut se demander si… », et là tu reprends la formulation du sujet. Et tu peux la compléter avec l’annonce de ton plan, de façon un peu légère (« Tout d’abord, nous nous demanderons si… », « puis nous envisagerons une autre hypothèse, selon laquelle… », « enfin nous pourrons envisager… ».
En énonçant ces deux directions, tu as en fait sans doute indiqué les deux parties de ton plan. Chacune sera constituée de plusieurs paragraphes (deux, ou trois). Chacune développera donc une thèse différente (une thèse, puis une antithèse). Souvent, on s’aperçoit qu’à l’issue de la deuxième partie, on a certes une réponse à proposer (la 2ème partie est censée être plus puissante et plus convaincante que la 1ère), mais qu’on pourrait imaginer dépasser cette opposition en regardant les choses sous un autre angle, qui permettrait de ne plus opposer les deux premières parties. Quand on a trouvé une piste qui permet un tel dépassement c’est qu’on tient ce qu’on appelle une « synthèse », une réponse plus fine, plus motivée, plus ambitieuse, plus maligne, plus intéressante aussi. Elle mérite alors une partie (la 3ème, donc), elle aussi développée en 2 ou 3 paragraphes.
Alors la conclusion pourra, tout simplement, énoncer cette réponse nuancée que permet ta réflexion. Elle sera décisive (et non indécise), elle sera fondée sur ton développement, et elle aura l’air rudement convaincante.
Donc, le plan « thèse antithèse synthèse » (qu’on appelle un plan « dialectique ») n’est pas ce qu’on met en œuvre quand on a perdu ses moyens. Il est ce qu’on met en œuvre souvent sans vraiment le vouloir, parce que la démarche qu’on utilise pour traiter des problèmes consiste souvent à passer par ces trois étapes. L’idéal, ce serait de produire un tel plan sans l’avoir vraiment voulu, simplement en réfléchissant de façon honnête et approfondie à la question posée. Mais un tel plan n’est pas une obligation. Ce qui importe, c’est que tu proposes une réflexion structurée selon des étapes logiques (« tout d’abord, envisager telle hypothèse, voir sur quoi elle tient, si ses raisons et arguments sont légitimes et convaincants, puis mettre une seconde hypothèse à l’épreuve à son tour, etc…). Il peut n’y avoir que deux parties. Il ne faut pas qu’il n’y en ait qu’une seule ! Et quatre, dans le cadre d’une dissertation, ce serait un peu trop. »
Je rajouterai ceci : on vous a donné, toute l’année mille conseils de méthode; vous en avez sans doute lu encore bien plus sur le net, dans des manuels. Certains, même, sans doute, se contredisaient. Peu importe : aucun de ces conseils ne constitue une règle stricte. Ce qui importe, c’est que vous sachiez pourquoi vous mettez telle ou telle démarche en oeuvre. Toutes les manières de faire sont la bonne manière de faire si vous avez une raison de faire ainsi, et pas autrement, et ce y compris si ça ne correspond pas aux conseils qu’on vous a donnés. Même si vous ne savez pas grand chose du programme de l’année, vous devez, et pouvez au moins vous appuyer sur ceci : sachez ce que vous faites.
Et maintenant, on ne peut que vous souhaiter bon courage pour demain.