On s’étonnait, en salle des professeurs, qu’on consacre au JT de 20h vingt minutes à la disparition de Michel Delpech, et que la mort de Pierre Boulez ne soit mentionnée qu’en quelques secondes à peine. On peut faire mine d’être étonné, mais ça tombe en fait sous le sens : si Boulez a l’importance qu’on lui prête, c’est que, sans doute, nous ne savons pas encore en parler correctement, que sa musique dépasse et de loin ce que le discours, ce que les mots peuvent en dire. Seuls quelques explorateurs qui partent, loin devant, en pionniers, écouter ce à quoi l’oreille humaine n’est pas encore acclimatée, peuvent prétendre, à leur retour parmi les communs des mortels, décrire ce qu’ils ont écouté, et il est probable que, tel le prisonnier libéré de Platon, ils soient mal reçus à leur retour.
En fait, il y a quelque chose de déplacé dans l’indignation de ceux qui déplorent que Pierre Boulez ne soit pas déjà fermement ancré dans la culture du plus grand nombre. C’est sous entendre que soi-même, on a fait de sa musique quelque chose de commun, bref, qu’on y est devenu insensible. C’est finalement une manière de prendre l’oeuvre de Boulez de haut, en prétendant qu’on est soi-même allé bien au-delà. C’est alors une façon de tenir un double discours : d’un côté, il faudrait considérer Boulez comme un génie qui mérite que les médias et la population lui consacrent toute leur attention, et de l’autre on prendrait soin, quand même, de mentionner le fait que, pour soi-même, ce musicien relèverait du « tout venant » de sa propre culture.
Or, si c’est bien un génie, on doute fort qu’il soit d’ores et déjà saisi à la hauteur de sa véritable valeur. Alors, que le JT de 20h ne sache pas trop quoi en dire, ça n’a rien d’étonnant, et on devrait se méfier de notre propre propension à se croire capable d’en parler correctement.
Ce qu’on peut faire, en revanche, c’est l’écouter. Et pour cela, les pionniers qui partent en avant défricher les territoires musicaux inconnus nous sont utiles, parce qu’ils peuvent nous indiquer comment nous y prendre. Les propositions ne manquent pas, ces derniers jours, mais s’il fallait en choisir une, on conseillerait la page que le site de France musique consacre à Pierre Boulez. Mentionnons d’abord le fait qu’elle soit rudement bien pensée en terme d’édition. Le média internet est ici utilisé à son plein rendement. Mais au-delà de sa mise en page, c’est une invitation à découvrir les diverses dimensions de cet artiste, de saisir pourquoi il fait toujours polémique, pourquoi les discours le concernant ne vont pas de soi, pourquoi son oeuvre réclame encore à être écoutée, réécoutée, mais aussi pensée, réfléchie, analysée, déconstruite, pourquoi, en fait, une telle réflexion porte, en fait, sur ce qu’est la musique, et sur ce qu’elle peut devenir, ou même peut-être sur ce qu’elle est censée devenir (pour peu qu’un domaine qui relève de la création puisse être censé devenir quoi que ce soit, et là, on commence à mettre le doigt sur quelque chose qui pourrait constituer un vrai problème philosophique).
Ceux qui ne le connaissent pas encore ont encore cette chance de ne même pas oser l’aborder, par intimidation. Peut-être est-ce là un respect plus approprié que l’expression faussement étonnée de sa propre aisance vis à vis d’une telle oeuvre. Et il semble que cette page, proposant quelques perspectives d’exploration, permet de maintenir cette distance respectueuse, et d’entrer dans ce domaine en s’y sentant inviter, sans pour autant pouvoir déjà y faire « comme chez soi ».
Pour tous ceux qui ont envie de se dégourdir les oreilles, on peut donc commencer en cliquant sur ce lien, vers la page de France Musique : Boulez à facettes
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