A propos de l’émission Les Chemins de la philosophie consacrée à la Dialectique du maître et de l’esclave. Le lien vers l’émission est en fin d’article.
Parvenir, à la fin de l’année de terminale, à pouvoir évoquer cette fameuse séquence, dans la Phénoménologie de l’Esprit, (dans les dîners en villes, dîtes simplement « la phéno », vous passerez pour un familier de l’oeuvre) de Hegel, au cours de laquelle il met en évidence le rôle crucial de la confrontation à la conscience d’autrui dans l’émergence de sa propre conscience, voila qui n’est pas si banal; voila, aussi, une arme qui permettrait d’aborder bon nombre de problèmes, le jour de l’examen, et dans la vie.
En effet, de quoi est-il question dans ce passage ? De la nécessité, pour se saisir soi-même, d’en passer par le regard et la reconnaissance d’autrui. De l’impossibilité d’y parvenir en étant regardé comme le serait un objet, de la nécessité de manifester, de soi-même, quelque chose qui témoigne de soi comme sujet. Il est donc question de conscience, de subjectivité. Mais aussi de travail, du rapport à la mort, du dépassement de la simple vie biologique. Il est aussi question de dialectique, c’est à dire d’une certaine façon de concevoir le réel. Parce que chez Hegel, la dialectique n’est pas uniquement une façon de penser en provoquant des oppositions (la fameuse thèse et sa soeur ennemie, l’anti-thèse), qu’il s’agirait, dans un troisième temps de dépasser dans un mouvement de fusion/acquisition. La dialectique, pour Hegel, est bien plus qu’une technique argumentative ou une méthode de réflexion. C’est la structure même du réel, le rythme intime de son mouvement.
Alors, quand une émission propose, en 45 minutes, d’expliquer dans un premier temps ce mouvement dialectique, ce qui permet de disposer de quelques munitions pour affronter un certain nombre de sujets puis, dans la foulée, de s’attaquer à cette fameuse « dialectique du maître et de l’esclave » (ce titre étant, d’ailleurs, remis en question, et comparé à cette autre traduction : la « dialectique du maître et du serviteur », et les raisons de cette préférence sont, justement, éclairantes et intéressantes), il peut être intéressant de consacrer une petite heure à son écoute.
Si on est en terminale, il y aura sans doute quelques passages qu’on ne comprendra pas. Ce n’est pas grave. Adèle Van Reeth, présentatrice des Chemins de la philosophie le dit à un moment : dans un ensemble qu’on a du mal à comprendre, il faut se raccrocher à tout ce dont on a l’impression de l’avoir saisi. Un texte de philosophie, c’est parfois une paroi d’escalade qu’on ne peut grimper que si on y trouve des prises. On peut faire de même avec cette émission. Il suffit de patienter, puisque ce dialogue, entre la présentatrice et son invité, Olivier Tinland, professeur de philosophie à Montpellier, revient régulièrement à des questions claires et à des énoncés accessibles au plus grand nombre.
C’est, enfin, une occasion supplémentaire d’entendre une voix qui n’est pas celle du professeur, sans aller chercher des propos plus simplifiés encore que ceux du cours.
Enfin, l’émission propose quelques références. Au cinéma tout d’abord, avec un grand classique : The Servant, de Joseph Losey (1963). Si on participait à l’émission, on proposerait volontiers d’ajouter Un Prophète, de Jacques Audiard (2009), qui semble être, lui aussi, une mise en forme de ce type de construction de soi via le travail effectué sous le regard d’un maître. Deux films qui pourraient faire l’objet d’un cycle commun de projection, au lycée par exemple. Des références musicales aussi. L’incontournable Master and servant de Depeche Mode, hymne SM des années 80, qui est, en fait, un peu plus que ça. C’est un des titres les plus remixés de l’histoire des singles, et il a été pour ainsi dire conçu pour cet usage, les pistes étant aisément séparables, tous ceux qui avaient envie de bricoler cet assemblage sonore le pouvaient. Une morceau de musique qui devient lui-même l’instrument de musique de ceux qui l’écoutent, subvertissant les places respectives du musicien et de l’auditeur. Un groupe qui se met, littéralement, au service de ceux qui l’écoutent. Et enfin, Kendrick Lamar, avec King Kunta, titre tiré de son album majeur, To pimp a butterfly, composé en hommage à Kunta Kiné, esclave rebelle ayant œuvré pour l’abolition de l’esclavage. On signale au passage de Kendrick Lamar est le premier artiste « rap » à s’être vu décerner, cette année, le prix Pulitzer dans la catégorie Musique. Ce prix, qui vise à mettre en lumière « une éminente composition musicale d’une dimension significative par un Américain », et c’est son dernier album, Damn, qui lui vaut une telle récompense. Il y a là matière à méditation car, finalement, il se passe avec les styles artistiques quelque chose de semblable à ce qu’on a évoqué dans le mouvement de reconnaissance mutuelle entre êtres humains. Des genres subalternes et déconsidérés peuvent, à force de création, focalisés sur eux le regard institutionnel au point d’en obtenir une véritable reconnaissance. Mais cela n’a rien d’étonnant, comme nous l’évoquions précédemment, le monde est dialectique dans tous ses compartiments. Qu’on retrouve ce processus à l’oeuvre au sein du dialogue entre formes musicales n’a, finalement, rien d’étonnant.
Pour accéder au podcast de l’émission, c’est par ici :
On notera au passage que ce n’est qu’une des émissions parmi celles qui, toute cette semaine ont été consacrées à Hegel, sous le titre générique « Qu’est-ce qu’il a Hegel ?«
Toutes les illustrations sont des photogrammes du film de Joseph Losey, The Servant (1963)