On l’indiquait dans la note générale concernant la préparation à l’oral de philosophie : il est peu utile de se présenter à cette épreuve si on ne maîtrise pas un peu le vocabulaire lié aux oeuvres présentées. Cela empêcherait non seulement l’explication de l’oeuvre elle même, mais aussi la réflexion à propos des concepts qu’elle met en jeu; autant dire que ce sont alors les deux axes essentiels de l’exercices qui seraient voilés. Voici donc quelques éléments de vocabulaire qu’il vaudrait mieux maîtriser, concernant tout d’abord la courte oeuvre d’Epicure, sa Lettre à Ménécée :
Lexique à maîtriser pour commenter la Lettre à Ménécée, d’Epicure :
– Aponie : Absence de trouble du corps. Autrement dit : absence de douleur physique
– Ataraxie : Absence de trouble de l’esprit. On peut aussi appeler cet état la « tranquillité de l’âme »
On pourrait penser que ces deux états s’opposent, surtout si on les envisage d’un point de vue idéaliste. Mais ce serait oublier qu’Epicure appuie toute sa pensée sur le matérialisme de Démocrite. Ces deux « niveaux » de tranquillité sont donc liés l’un à l’autre. Marcel Conche, dans son introduction aux Lettres et Maximes d’Epicure présente ce lien en ces termes : « (…) le plaisir catastématique (definition ci-après) de l’âme s’obtient, on le sait, par l’absence de trouble. L’ataraxie. L’âme est troublée par la crainte des dieux et de la mort, et les désirs vains. Or la crainte des dieux et celle de la mort reposent sur l’appréhension de tourments et de douleurs pour le corps : quant aux désirs vains, ils visent pour l’essentiel à obtenir une sécurité impossible contre la mort du corps. Ainsi ce qui trouble l’âme est relatif, d’une façon directe ou indirecte, à la douleur du corps, qui d’ailleurs, d’après le critère de la sensation affective, est le seul mal. L’ataraxie – l’absence de désordre de l’âme – sera donc relative à l’absence de douleur du corps, non dans le présent seulement mais dans tout le temps (si les dieux ne peuvent rien nous faire et si la mort est absence de sensation, la menace de tourments à venir disparaît pour une large part ; quant aux autres hommes, et aux risques qu’ils font peser sur l’intégrité et le bon état de notre corps, nous pouvons escompter que la barrière des amis – et de ceux qui sont bien disposés à notre égard – nous en protégera. » (Lettres et Maximes d’Epicure, introduction par M. Conche, PUF ; p. 74)
– Plaisir : Sensation, sentiment, émotion agréable découlant de la satisfaction d’un besoin, d’un désir. Une pensée qui identifie le plaisir au bonheur est nécessairement hédoniste (cf ci-après)
– Plaisir catastématique : plaisir au repos. S’oppose au plaisir en mouvement.
La théorie épicurienne du plaisir distingue les plaisirs qui consistent en une absence de douleur (plaisir au repos, ou stable, ou bien, donc, catastématique) et les plaisirs en mouvement, qui sont la satisfaction d’un manque naturel (la faim, la soif, etc…).
Ces deux formes de plaisir appartiennent à des temps différents : le moment de la satisfaction correspond au plaisir en mouvement, puisqu’il y a rééquilibrage de la tension produite par le manque. Une fois l’équilibrage effectué (le ventre plein, la soif étanchée) vient le temps du plaisir au repos, c’est-à-dire du maintien de l’équilibre, pour jouir de l’absence de douleur.
S’il y a un malentendu sur la quête du plaisir dans l’épicurisme, c’est qu’on oublie souvent d’effectuer cette distinction : il s’agit de n’encourager que le plaisir au repos, car c’est le seul qui permette d’accéder au calme. Or on a tendance à développer le plaisir en mouvement, alors même qu’il faudrait tenter de le réduire au strict nécessaire, puisqu’il s’appuie nécessairement sur les temps de déséquilibre.
– Hédonisme : Doctrine assimilant le souverain bien au plaisir
Si on s’appuie sur la distinction entre plaisir au repos et plaisir en mouvement, on devine à quel point on simplifie l’épicurisme en le considérant comme un simple hédonisme, puisque souvent, se déclarer « hédoniste », c’est ne pas faire cette distinction. Les véritables hédonistes, dans l’antiquité, sont les philosophes qu’on appelle « cyrénaïques » , disciples d’Aristippe de Cyrène (435 – 356 Av. JC), qui prônaient une vie en perpétuelle quête de plaisirs, mais refusant la notion même de plaisir au repos (considérant que le plaisir ne doit pas être réduit à une simple absence de douleur). On le voit, si Epicure est hédoniste, c’est d’une manière spécifique, qui ne permet pas de le lier aux cyrénaïques, puisqu’en réalité, il s’y oppose.
– Eudémonisme : Doctrine plaçant le bonheur comme fin ultime de la vie humaine. Les philosophies de l’antiquité sont toutes eudémonistes, puisqu’elles cherchent toutes à constituer une pensée et une action ayant pour objectif le bonheur. Ici encore, il faut se méfier : on s’est habitués à identifier eudémonisme et hédonisme, ce qui signifierait que le bonheur se réduirait au plaisir. On l’a compris, l’épicurisme est en désaccord avec cette réduction.
– Hasard : le hasard se manifeste dans la vie humaine sous la forme de la Fortune, mot désignant à l’origine le bon et le mauvais sort et donc tout ce qui arrive de manière hasardeuse. Epicure fait du hasard un phénomène naturel qu’il déconnecte de la déesse à laquelle il était jusque là identifié, Tyche.
Deux types de hasard sont distingués par Epicure :
– le hasard défini comme l’absence de fin, c’est-à-dire un phénomène qui ne poursuit pas d’achèvement identifiable. Notons qu’Epicure refuse l’idée d’un hasard qui serait compris comme le principe de phénomènes n’ayant pas de cause : il est matérialiste, aussi pense t-il que tout phénomène a une cause qui appartient nécessairement au monde des phénomènes. Il n’y a donc pas de phénomène sans cause. Pour cette raison, pour que le hasard se manifeste dans la nature, il faut que sa cause soit matérielle, ce qui revient à dire que dans la structure atomique du monde, il y a du hasard, c’est-à-dire de l’indéterminé. Cette instabilité de la structure atomique de la matière, l’épicurisme, à la suite de Démocrite l’appelle le « clinamen », c’est-à-dire l’aptitude des atomes à entrer en collision les uns avec les autres pour former des combinaisons « hasardeuses ».
– Le hasard défini comme « désordre ». Ce désordre est tellement constitutif de la matière, pour Epicure, qu’on pourrait en quelque sorte y voir une forme d’ordre, puisqu’il est dans la nature même de la matière d’être potentiellement désordonnée. Ce qui est tout particulièrement source de désordre, c’est que les suites de causes et d’effets, qui sont déterminées, sont indépendantes les unes des autres, et peuvent se croiser n’importe où, n’importe comment (si un meuble tombe d’une fenêtre au moment où je passe dans la rue, la chute de l’objet est déterminée, ma trajectoire dans la rue l’est aussi mais le croisement des deux trajectoires ne l’est pas.
En fait, l’erreur à éviter, pour les épicuriens, c’est de croire qu’il faille attendre quoi que ce soit du hasard, bienveillance ou cruauté, et que la juste attitude consisterait à « dompter » le sort en essayant de le séduire. Un tel discours ferait de l’homme l’esclave des évènements et l’enfermerait dans une superstition infantilisante. Au contraire, il faut voir dans le hasard l’explication même de la possibilité de la liberté humaine : si cette brèche n’existait pas dans la nécessité (c’est-à-dire dans un déroulement rigide, fixe, orienté, des phénomènes, la liberté serait tout simplement impossible, puisque les actes des hommes seraient tout aussi nécessaires que la succession des saisons ou la chute des corps.
– Nécessaire : désigne tout ce qui ne peut pas être autrement qu’il n’est.
– Contingent : désigne tout ce qui peut être autrement qu’il n’est.
Spontanément, on a tendance à considérer que les actes humains sont contingents quand les phénomènes naturels sont nécessaires. Mais affirmer cela implique d’extraire artificiellement l’homme de la nature, sans véritablement expliquer comment on le fait (Descartes, par exemple, doit pour cela concevoir une âme immatérielle ne se pliant pas aux exigences mécaniques de la matière). Epicure préfère considérer que la contingence fait partie de la nature matérielle elle-même, d’où sa théorie des atomes pourvus de cette aptitude au désordre, c’est-à-dire à l’imprévisibilité.
– Fatalisme : Doctrine selon laquelle tous les phénomènes sont fixés à l’avance par le destin. De cette doctrine découle une attitude d’acceptation, de résignation et de soumission face aux choses telles qu’elles sont, puisque « ce qui arrive devait arriver ». La conséquence de cette doctrine, c’est alors la déresponsabilisation de l’homme, puisque quoi qu’il fasse, ce qu’il vit devait être vécu tel qu’il le vit.
Merci beaucoup pour cette fiche très éclairante. Les distinctions conceptuelles sont lumineuses et précises et j’apprécie tout particulièrement celle qui concerne la distinction entre le « plaisir stable ou catastématique » et celui « en mouvement ».