On utilise souvent la référence aux textes de John Locke pour traiter les questions portant sur le rapport a priori antagoniste qu’entretiennent la loi et la liberté. Et ces textes sont effectivement très intéressants à étudier dans cette perspective, tout particulièrement en classe puisqu’ils sont d’une grande clarté et parviennent à convaincre des classes souvent portées par le sentiment que le règlement intérieur du lycée est tout de même très liberticide, que les lois sont pourtant non seulement nécessaires, mais aussi favorables à la liberté. Pourtant, on peut aussi mettre ce genre de référence à profit dans le cadre d’une réflexion portant sur la puissance offerte à l’homme par la technique, qui est elle-même facilement conçue comme une nette augmentation de la liberté humaine. Or il n’est pas certain que faire quelque chose en vertu du simple principe que cette chose soit possible, cela permette de dire qu’on a agi librement. On devrait plutôt dire qu’on n’a pas été empêché de le faire. Mais l’absence de contrainte ne suffit pas à définir la liberté car on exclurait la volonté de la définition de la liberté. Or la volonté est non seulement nécessaire à définir la liberté (sinon les animaux seraient libres), mais elle constitue en fait une contrainte choisie, qui va orienter l’action, non pas vers ce qui est seulement possible, mais vers ce qui est souhaitable, ce qu’on identifié comme devant être voulu. Ainsi, l’action libre n’est pas celle qui est réalisée sans contrainte, mais celle qui est le fruit d’une volonté qui sait ce qu’elle veut, et qui ne fait que ce qu’elle veut, refusant donc toutes les autres possibilités. Etre libre, c’est donc surtout renoncer à tout ce qu’on ne veut pas. On comprend donc que la technique, devenant technologie (c’est à dire une technique qui se vise elle-même comme projet, qui est à elle-même sa propre logique et son propre but) ne permet pas la réalisation d’une telle volonté, puisqu’elle est plutôt l’abdication de celle-ci, devenue inutile, et qu’en offrant à l’homme un champ de possibilités quasiment infini, elle se présente moins comme un espace de liberté que comme un ensemble de proposition tentantes auxquelles il faudra savoir résister. C’est donc contre cette vaste tentation que la liberté s’exerce, ce qui empêche de considérer la technique comme un simple accroissement de la liberté. Ce n’est pas l’objet premier ce texte, mais on peut l’utiliser dans cette perspective. C’est ce que nous avons fait, en cours, dans le cadre du traitement du sujet « La technique nous rend-elle libres ? »
Voici cet extrait :
« La loi ne consiste pas tant à limiter un agent libre et intelligent qu’à le guider vers ses propres intérêts, et elle ne prescrit pas au delà de ce qui conduit au bien général de ceux qui sont assujettis à cette loi. S’ils pouvaient être plus heureux sans elle, la loi s’évanouirait comme une chose inutile ; et ce qui nous empêche seulement de tomber dans les marais et les précipices mérite mal le nom de contrainte de sorte que, quelles que soient les erreurs commises à son propos, la finalité de la loi n’est pas d’abolir ou de restreindre mais de préserver et d’élargir la liberté ; et dans toutes les conditions des êtres créés qui sont capables de vivre d’après des lois, là où il n’y pas de lois, il n’y a pas de liberté. Car la liberté consiste à être délivré de la contrainte et de la violence exercées par autrui, ce qui ne peut être lorsqu’il n’y a point de loi ; mais la liberté n’est pas ce que l’on nous dit, à savoir une liberté, pour tout homme, de faire ce qu’il lui plaît (car qui peut être libre quand n’importe quel homme peut nous imposer ses humeurs ?). Mais c’est une liberté de disposer et d’ordonner comme on l’entend sa personne, ses actions, ses biens, et l’ensemble de sa propriété, dans les limites de ce qui est permis par les lois auxquelles on est soumis ; et, dans ces limites, de ne pas être assujetti à la volonté arbitraire de quiconque, mais de suivre librement sa propre volonté. »
Locke, Deuxième traité du gouvernement civil, 1690