Régulièrement, cet article revient en tête de blog, remis au goût du jour quand on évoque, en classe son contenu. On remet le couvert cette année encore, d’emblée, à la faveur d’une pré-introduction au cours de HLP sur la recherche de soi.
Ne plus faire de l’existence de Dieu une affaire de sentiment
En effet, cette année, avec les terminales ayant eu l’audace, et le loisir, de s’inscrire en spécialité Humanités, Littérature et Philosophie, on a évoqué d’emblée la façon dont Descartes coule le « je » comme une dalle de béton absolue, sur laquelle toute la connaissance pourra ensuite s’établir, dans la méthode, et dans la certitude. A ceci près : pour qu’une quelconque autre connaissance puisse être établie en dehors du fameux « Je pense, donc je suis », il faut que Dieu existe. Sinon, le Cogito demeurerait le seul jugement dont on soit absolument certain qu’il est indiscutable, et la méthode cartésienne demeurerait stérile. Du coup, Descartes fait de l’existence de Dieu une connaissance, et non une croyance. Cette solidification du théisme est à la hauteur de l’enjeu : il s’agit d’être certain que le monde lui-même existe, et que ça vaille le coup d’entreprendre de le connaître.
Ce faisant, Descartes fait de l’existence de Dieu l’objet d’une science, et s’il reste un rôle pour la foi chez lui, c’est sur d’autres terrains qu’il se jouera, celui des vérités révélées, spécifiquement liées aux dogmes catholiques (la Trinité par exemple, ou la transsubstantiation du pain et du vin en corps et en sang du Christ). L’existence de Dieu, n’est pas une affaire que seul le cœur ou le sentiment personnels pourraient régler. C’est une question que la raison peut prendre en charge, et résoudre.
Il faut dire que toute preuve appuyée sur une quelconque « expérience de Dieu » est vaine : n’étant vécue que par quelques uns, elle ne serait valable que pour eux, laissant de côté ceux qui n’éprouvent rien, ceux qui ne sont pas habités par ce sentiment. D’une expérience privée, on ne peut tirer aucune connaissance universelle.
Au 18e siècle, la connaissance établie par Descartes va voler en éclat, lorsque Kant va poser ce principe : l’existence n’étant pas une qualité, elle ne peut pas faire l’objet d’une démonstration. Seule l’expérience permet de constater qu’un être existe, qu’il constitue ce qu’on peut appeler un phénomène. Critiquant la prétention à faire des concepts métaphysiques des objets de connaissance, Kant invalide toute forme de savoir à propos de l’existence divine.
Pour le dire autrement : il n’y a plus aucune témoignage qui tienne universellement quant à la présence de Dieu. Or, dire de Dieu qu’il existe, c’est affirmer sa présence au monde, sous une forme ou sous une autre. Et sur ce point, il est impossible de mettre les hommes d’accord, précisément parce que cet accord ne serait lui-même fondé sur rien. On peut croire en son existence. Mais celle-ci ne saurait faire l’objet d’une connaissance universelle.
Absenthéisme
Reste, pourtant, une autre possibilité, astucieuse et sincère à la fois, consistant à appuyer la conviction de l’existence de Dieu non sur le sentiment de sa présence, mais au contraire sur la douloureuse expérience de son absence. Car quand on évoque Dieu, que ce soit dans le contexte de la pratique religieuse ou dans celui de la réflexion métaphysique, l’être qu’on a en tête, pour le dire simplement, brille par son absence. Il constitue une béance, un espace vide au sens où on dirait qu’un trou noir est vide ; un vide qui n’est pas rien, puisqu’il tend l’espace vers lui. Ce rien, ce n’est pas rien. Penser ainsi Dieu comme cet être qui ne se manifeste pas, c’est trouver un sentier qui permette de gravir le colosse de manière simultanément respectueuse et efficace (ceux qui maîtrisent l’univers de Shadow of Colossus savent de quoi on parle, ici). Penser Dieu, c’est parvenir à concilier absence et présence, maintenir l’équilibre entre deux abîmes : d’un côté le refus du concept même en raison même de la conviction qu’il ne correspond à rien de « réel », de l’autre l’attachement à un être dont on a besoin, la complaisance envers le sentiment d’une présence qui est, aussi, un accompagnement.
Il se trouve, je l’ai évoqué en classe, qu’un film aborde cette question, sans qu’on puisse malheureusement affirmer avec certitude qu’elle constitue vraiment son centre de gravité (si c’est le cas, on a la pénible impression qu’un satellite espion vient troubler sa trajectoire en l’éjectant de son orbite initiale, le film s’égarant sur des pistes parallèles qui parasitent, profondément, ce qui pourrait constituer une ligne tendue vers le silence éternel des espaces infinis). Hadewijch, de Bruno Dumont (2009) prend pour ligne directrice la tension que son héroïne, Céline, éprouve envers un Dieu qu’elle voudrait présent, afin de l’aimer à corps perdu, au sens strict. Renvoyée d’un couvent où son mysticisme effraie, elle erre un peu au hasard avant de rencontrer un jeune homme, dont le frère, Nassir, sera pour elle un guide.
Il y aurait beaucoup à dire sur la tournure que prennent les choses, dans le film, dès lors que l’héroïne croise le chemin de l’islam à travers la personne de Nassir. Mais si l’issue de cette rencontre laisse, c’est le moins qu’on puisse dire, à désirer, les premiers temps qu’ils vont partager permettent au contraire de poser très exactement la question de l’ambiguïté de l’Etre que serait Dieu, et la mise en scène va le faire de manière très simple, à travers un enseignement donné par Nassir à l’arrière d’une boutique. Et la leçon qu’il donne le jour où céline se joint au petit groupe de disciples, porte précisément sur l’absence.
Malheureusement, la leçon est écourtée par le départ précipité de Céline, qui ne supporte pas le regard, il est vrai un peu lourd, qui pèse sur elle. C’est que ce n’est pas des hommes qu’elle veut être vue, sa foi est une soif de présence qui ne parvient pas à se faire à l’absence de Dieu.
Il se trouve que Karl Sarafidis, l’acteur qui endosse le rôle de Nassir est lui-même philosophe, et qu’il fut amené après la sortie du film, à prendre position sur son propre engagement dans Hadewijch : le film étant ce qu’il est, il lui a semblé nécessaire de préciser quel était son propre regard sur ce qui aurait pu être son seul, et beau, sujet. Ce faisant, Karl Sarafidis permet de découvrir cette leçon sur l’absence dans son intégralité, puisque la scène présente dans le film n’en montre qu’une partie. On la trouve publiée sur plusieurs forums de discussion. Je la reproduis ici, car elle vaut d’être partagée et archivée.
Quelques mots de M. Sarafidis en préambule de la leçon elle-même. Je précise que le texte intégral aborde la question de la représentation « orientaliste » de l’islam dans la culture occidentale, la question est intéressante, particulièrement pour nous autres qui pouvons si facilement être les victimes plus ou moins complaisantes de cette déformation de la vue ; néanmoins, j’ai concentré les extraits proposés ici à ce qui concerne le problème du rapport à l’absence de Dieu :
« En somme, il s’agit de comprendre, et c’est quelque chose que le film ne questionne à aucun moment, ce qu’il en est de nous tous aujourd’hui. Quelle est cette situation de détresse – pourquoi les dieux ont-ils fui, dans quel domaine se sont-ils retirés et qui est le dieu à venir ? Autant de questions qui sont laissées de côté mais dont l’urgence est sans doute plus que jamais d’actualité.
Dans l’arrière boutique de sandwichs grecs, au moins une fois, la parole aura été donnée à Nassir. Un discours avec une signature propre s’introduit alors dans le film, bienvenu ou malvenu. Le scénario ne le prévoyait pas, du moins pas dans son contenu. C’est la conférence sur le ghâyb. Il nous y est dit qu’en droit, l’islam est incompatible avec toute volonté d’incarner le royaume de dieu sur terre, dieu ne pouvant être présent à sa création d’aucune manière sinon par son absence. Il est en quelque sorte au-delà de tout ce qui est, visible ou invisible, dans le retrait le plus extrême. A l’inverse, certaines figures athées ne seraient que le résidu d’un système théologique, qui implique dans la structure omniprésente de la représentativité, une obsession du dieu. »
Vient alors la leçon sur cette absence qui, dans la langue arabe, se dit ghâyb :
« A l’époque de la représentation généralisée qui suit le réel à la trace, et qui, mettant toute chose dans l’évidence du voir panoptique, se crispe sur le visible et sur sa présence, nous rencontrons un mot pensant de la langue arabe qui nous convie à l’abandon, le temps de la méditation. Ce mot c’est el-ghayb.
Il provient du verbe ghâba qui veut dire ne pas être là, s’absenter. Il signifie à la fois l’absence, le mystère, le caché, le non-manifeste, l’invisible. Le ghâyb désigne ce qui ne s’offre pas au regard humain, qui ne peut être exhibé et se maintient dans le retrait de la présence. Avec le ghâyb, nous pénétrons dans le domaine subtil de l’esprit, du suprasensible. Dieu, ses Anges, le paradis, l’enfer mais encore ces hommes d’exception que sont les envoyés de Dieu, tout cela peut être dit appartenir au règne du ghâyb, au sens où ils ne se donnent pas à voir et se refusent à la possibilité même de la représentation.
Dans un sens plus large, un lieu lointain que je ne peux percevoir peut être dit ghâyb, mais il suffit que je m’y rende pour qu’il cesse de l’être pour moi. L’avenir aussi est ghâyb en ce sens qu’il n’a pas eu lieu, qu’il n’est pas encore présent, ou bien le passé en tant qu’il a déjà eu lieu, qu’il n’est plus présent.
Cela nous indique néanmoins que tout ce qui vient à la présence ou sort de la présence surmonte le ghâyb ou bien en définitive s’y abime. Toute la présence du monde visible doit être pensée selon et à partir de sa provenance du ghâyb, comme ce qui s’en est d’abord arraché et qui lui demeure pourtant sans cesse attaché. Ce qui, dans la présence du visible, demeure en réserve, reste dans le retrait, cela est le ghâyb.
Le ghâyb ne renvoie donc à aucune présence cachée derrière ce qui est présent, mais à la cache de la présence elle-même, qui n’est elle-même jamais rien de présent, mais dont l’absence et l’invisibilité permet à ce qui est présent de s’avancer dans la présence et d’apparaître au milieu du visible. En revanche cet apparaître de l’apparaissant se retire au profit de ce qui apparaît. Ce n’est pas que le visible cache l’invisible : c’est l’invisible (L’apparaître) qui découvre le visible (l’apparaissant) en même temps qu’il s’y abrite en son cœur. L’invisible se dit ainsi de ce qui toujours déjà, se retire hors du champ du visible, et c’est ce retrait même qui rend possible toute venue à la présence et toute sortie hors de la présence. Ainsi y va-t-il de la lumière, laquelle n’est jamais à proprement parler objet de la vision : si c’est la lumière qui devait être vue, on ne verrait jamais rien. Au contraire, l’invisibilité de la lumière se retire au profit de ce qu’elle illumine.
Plus spécialement donc, el-ghâyb désigne ce monde spirituel qui illumine le monde visible de la présence, et qui ne peut être atteint par la perception commune des sens, ni par la raison abstraite. Par définition, les sens corporels et l’intellect aiment à se représenter leur objet et sont donc toujours extérieurs à lui, alors qu’avec le ghâyb, nous sommes admis dans le monde intérieur de l’âme, c’est-à-dire au lieu dans lequel nous nous tenons toujours déjà, et que nous sommes nous-mêmes, quand bien même nous nous en serions détournés depuis longtemps.
Bien que nous ne puissions nous le représenter, nous disposons néanmoins d’un sens spirituel qui nous ouvre un accès au secret, aux choses intérieures de l’esprit, même si avec ce sens, on ne peut parler d’un accès cognitif aux choses invisibles, lesquelles demeurent nécessairement cachées. Car c’est en tant que mystères seulement qu’elles peuvent être visées et appréhendées. De telle sorte que celui qui se dit capable de voir et de connaître l’invisible devient coupable d’un Taghout : il commet une démesure, en prétendant dépasser les limites qui lui sont assignées : il se prend pour Dieu ou pour un envoyé de Dieu – car on sait que Dieu a accordé et ce, de façon ponctuelle, un rapport présentifiant à cette absence en dévoilant aux prophètes le voilement, en leur rendant visible l’occultation. On peut supposer que ce qui leur a été ainsi dé-voilé n’en a pas moins cessé d’être dé-voilé, car ce que le dévoilement leur a révélé, c’est bien le retrait de la présence, le voile du mystère, lequel est manifesté tel qu’il est, comme non manifeste, présentifié comme absence, montré comme ce qui ne se montre pas, vu comme ce qui excède toute vision.
Dans le taghoût, règne l’idolâtrie contraire à la foi, où on a besoin d’associer au Dieu unique, diverses présentifications qui tiennent alors lieu de dieux divers. L’idolâtrie peut persister sous des formes en apparence moins religieuses mais qui ne perdent pas leur caractère théologique : l’athéisme de la laïcité en est un exemple fracassant. Le monde de la représentation politique du dieu-laos (« peuple » en grec) n’a fait que prendre la place de celui de la représentation monarchique du Dieu-chrétien dans la personne du roi.
Noyée dans la profusion des représentations, l’idolâtrie ignore la nécessité du secret. Elle est par essence faitichiste. En vertu d’un préjugé positiviste, trop souvent, on croit que pour dévoiler quelque chose, il suffit tout simplement d’arracher des voiles et de trouver ce qui se tient derrière. Si cela est toujours possible parmi les choses visibles, ce n’est pas le cas pour ce sens qui concerne et prend en vue l’invisible. La foi elle-même consiste dans le dépassement du taghout, car elle est foi en tant justement qu’elle se con-fie à l’invisible. Que serait la foi sans ce rapport à l’invisible, elle qui précisément se définit comme l’état à travers lequel nous nous fions, donnons notre confiance à ce que nous ne pouvons voir ? Ce qu’on voit, ce sont les signes extérieurs du créateur dans sa création : Le visible en tant que tel ne vaut que comme étant le signe de l’invisible. L’exotérique est toujours l’exotérique d’un ésotérique, renvoyant à un intérieur qui ne peut être exhibé, mais qui transparaît à même le visible, comme l’invisibilité fondamentale qui le supporte, comme ce retrait sans lequel il n’y aurait jamais de venue à la présence.
Avec Dieu, ce retrait se creuse de plus en plus, et on entre dans l’ésotérique de tout l’ésotérique. Il est ce qu’il y a de plus en retrait, au point qu’il n’est pas interdit de dire qu’il est en retrait même du ghâyb : Dieu s’absente même du retrait.
Rappelons-nous parmi les noms de Dieu, le 76ième : el-Bâtin : Le caché, l’ésotérique – vient du mot el-Batn qui signifie « le ventre » (Mais à la différence de ce que cache le ventre, les entrailles, et qui demeure visible au moment où on a arraché l’enveloppe extérieure, l’invisible lui-même ne peut être exhibé, comme s’il suffisait d’effeuiller le visible pour rencontrer à un certain moment de l’invisible. L’extérieur de l’exotérique ne cache pas l’intérieur de l’ésotérique comme le ventre cache les entrailles. Si le visible est le signe de l’invisible, alors il le montre comme ce dont celui-ci se retire. Le visible est le symptôme du retrait, la trace de l’absence du divin, ce lieu d’où le Dieu s’est toujours déjà retiré). Mais ce nom est précédé dans la liste par son contraire : el-Dhâhir, l’apparent, le manifeste. Comment penser le rapport entre ces termes ? Y a-t-il là une contradiction ? Ce que cette opposition laisse entendre, c’est que le divin est à la fois ce qui est le plus présent et ce qui est le plus absent, le plus évident et le plus invisible. Si on se permet un jeu de mots, on peut dire que Dieu est présent par son absence, évident dans son invisibilité.
Autrement dit, le retrait du Dieu, aucun homme, aucune créature pas même Dieu lui-même – au risque de penser une impuissance fondamentale au cœur du divin – ne sont capables de le surpasser ou de le surmonter : Dieu, ne pouvant s’incarner, engendrer ou être engendré, est incapable de devenir chair, c’est-à-dire un morceau du visible.
Rappelons quand même un hadith du Prophète : « Adore Dieu comme si tu Le voyais, car si tu ne le vois pas, lui te voit. » La foi est vécue à travers une simulation visionnaire : je fais comme si je voyais Dieu qui me voit. Il est de l’essence de l’adoration d’halluciner sur Dieu. En faisant comme si elle voyait Dieu, elle s’accorde au retrait. Dans ce comme si, Dieu devient pourtant manifeste dans le cœur du croyant. Ainsi dans l’acte d’adoration qui s’abandonne au ghâyb, Dieu peut « dévoiler » son mystère. C’est par cette voie seulement qu’Il se révèle à nous, c’est-à-dire qu’il se manifeste sans devenir visible ; il se dévoilecomme secret et ne cesse pas pour autant d’être absent à ses créatures. L’homme croyant et fidèle se tourne ainsi vers une essence inaccessible qu’il ne pourra jamais trouver en face de lui, à titre d’objet de représentation. Mais c’est à travers cette inaccessibilité même que l’essence va se manifester à lui. C’est ainsi qu’il peut la trouver alors même qu’elle lui demeure à jamais inabordable, elle qui reste de toute éternité dans le retrait.
Que signifie dès lors pour le fidèle de s’abandonner au ghâyb ? Non pas quitter le visible pour une contemplation aveugle et sans but, mais au contraire s’y consacrer sincèrement. En effet, il ne faut pas penser que ce retrait du Dieu signifie un délaissement et un abandon de l’homme. Par son retrait, Dieu ouvre un champ qu’il nous demande d’investir avec notre intelligence et notre volonté, notre cœur et notre esprit. Ce champ c’est celui du monde. En montrant le dieu comme étant ce qu’il y a de plus caché, en présentant le créateur comme ce qui s’est depuis toujours absenté de son œuvre, retiré de sa création, la foi nous livre son secret, à l’abri de la présence. Nous sommes dès lors en mesure de confier notre activité au monde tout en laissant être l’invisible. Car cet amour du secret dans la foi ne cherche pas à rendre visible l’inapparent qui se trouve au cœur de ce qui apparaît. Au contraire, il laisse le ghâyb dans son abri et dans le même temps se retrouve lui-même libre pour œuvrer dans le monde de la présence. L’abandon au ghâyb et l’engagement dans le monde sont les deux revers du même acte qui est de laisser être l’invisible tout en se consacrant au visible.
L’absence de toute représentation de Dieu sur terre, loin de laisser se succéder les dieux et leurs vicaires, montre que la séparation et la transcendance du divin, doit avoir pour résultat immédiat de libérer le champ de l’action politique de toute contamination théologique. En Occident, la fuite des dieux n’a pas eu pour conséquence l’instauration nouvelle de fondements non théologiques à la cité politique. Elle a, loin de là, rapporté de nouveaux dieux : par exemple, la divinisation de la laïcité. Le système de la représentation généralisée est tout entier fondé sur l’idée d’un Etant suprême. Ce qui est reconnu comme étant le plus haut, comme summum ens, au sens du theiôn, c’est ce qui peut être représenté par les représentants du peuple. Ceux-ci constituent alors des représentations de l’Etant suprême.
A l’inverse, certains combats politiques sont affabulés quant à eux, d’un sens théologique qui ne leur est pas propre. La lutte politique est présentée sous les traits abstraits d’une guerre des civilisations, ou de celle de la civilisation contre la barbarie, d’une guerre des religions, ou de celle du religieux contre l’universalité des Droits de l’Homme. Mais c’est pour mieux effacer le sens politique de certains combats, pour éviter de poser les problèmes dignes d’être posés et qui concernent l’homme présent dans son existence réelle.
De la même façon, s’il est simple de présenter le martyr (shahîd), celui qui témoigne, pour un enthousiaste fou de Dieu, c’est sans doute parce que le martyr ne témoigne de rien : Il n’est que le martyr du ghâyb, le témoin de l’absence. Ce qui peut aussi et du même coup, le faire passer pour le bourreau de la présence. »
Voici la scène, telle qu’elle se présente dans le film :
Si on ne comprend pas tout à la première lecture, c’est tout à fait normal : les difficultés de compréhension ne se surmontent qu’en lisant. Il en va du sens, pour le philosophe, comme de Dieu pour le croyant : c’est son absence qui justifie qu’on chemine. Il fait l’objet d’une quête plus que d’une possession.
Evidemment, on pense à Pascal, dont de nombreux passages témoignent de cet élan vers l’Absent, on y reviendra un jour ou l’autre ; on pense à Levinas qui pensait Dieu comme « discret », on y reviendra aussi ; on pense aussi à Jean-Luc Nancy quand il montrait en quoi les monothéismes pouvaient être envisagés comme conduisant à ce qu’il nommait de manière assez lumineuse « absenthéisme ». Il faudra un jour qu’on y revienne.
En complément, l’intégralité du propos de Karl Sarafidis (que le générique du film renomme « Karl Sarafadis », d’ailleurs) : https://sarafidis.wordpress.com/2009/12/13/lorientalisme-de-hadewijch-suivi-du-cours-de-nassir-sur-le-ghayb/
et la bande annonce du film :
On y devine, rien qu’à écouter la mise en musique, que certains angles de vue de Bruno Dumont sont à aborder avec méfiance.
dieu: une maladie mentale collective qui s ‘est repandu et que la sécu ne rembourse pas !!!
hmmmm… Je comprends le désir de lancer, comme ça, une sentence un peu définitive qui pourrait sembler, au premier abord, provocante et assassine. Mais ça marcherait mieux si, déjà, le propos était logique : la « sécu » ne rembourse pas les maladies, mais les médicaments. Si, à la rigueur, vous aviez comparé Dieu à un médicament, votre formule aurait un peu mieux marché mais vous n’auriez pas été, loin de là, le premier à le faire. Marx disait quelque chose de ce genre losqu’il écrivait que la religion, c’est « l’opium du peuple ». D’autre part, assimiler quoi que ce soit à une maladie fonctionne rarement. Qu’on fasse de l’affirmation de l’existence de Dieu une erreur, une illusion, une illumination, c’est possible. Mais une maladie appartient à une autre classe d’objets, c’est donc globalement très peu comparable.
Bref, rien ne vous interdit d’être cinglant. Mais pour l’être… il faut l’être ! Ce genre ne supporte pas l’à-peu-près.