Absence, présence, soif, élan, on a croisé ces relations à l’être nécessaire qui n’est pas là dans les articles précédents. Des esprits malins y avaient vu la forme même du transcendantal, on y verra ici celle du désir en général, et de l’amour en particulier.
On a déjà creusé, dans de lointains articles sur le désir, l’inaccessibilité de son objet. Comme avec (et sans) dieu, toute l’ambiguïté du désir tient à cette aspiration de soi dans l’élan vers l’objet hors de portée, qu’on poursuit pourtant pour la simple raison que même par avance inachevé, et inachevable, il est ce seul point de fuite qui vaille d’être poursuivi. Puisque les voies des neurones sont impénétrables, accordons nous une récréation autour d’une mise en images de cette distance incompressible en amour.
Irait-on jusqu’à évoquer le conseil de Cendrars, « Quand tu aimes il faut partir » ? Non, on proposera plutôt le mouvement inverse, asymptotique, même si ici ce sera pour des raisons un peu particulières.
Novembre 2008, Iori Abeno et Shohei Kawasaki, deux jeunes japonais sortent de chez eux pour parcourir les 1000 km qui les séparent l’un de l’autre. Ils ne se sont jamais rencontrés, ils ont fait connaissance deux ans et demi plus tôt via un site internet, et peu à peu s’est bâtie une relation à distance, et néanmoins amoureuse. Ils ont un mois pour se rejoindre, à pied, à travers le Japon. Pendant ce mois de cheminement l’un vers l’autre, chacun est suivi par un site qui permet de visualiser leur parcours, de les suivre au jour le jour dans leur progression commune, un compteur mesurant la distance les séparant, décroissante. Evidemment, on le devine, ils ne sont pas les organisateurs de leur propre rencontre : une entreprise en fait une campagne de promotion, et cette compagnie a besoin de mettre en scène non pas leur réunion, mais leur séparation résiduelle, aussi minime soit-elle.
Le compteur affichera bel et bien O,OO mm au moment de leur première étreinte, mais ce sera pour augmenter de nouveau alors qu’ils se regarderont l’un l’autre. But final de l’opération, caler le compteur sur 0,02 mm, l’épaisseur du produit dont toute l’opération fait la promotion.
La publicité, qui aime d’habitude nous faire croire que les objets du désir sont accessibles, avouant par là même que précisément, ce n’est pas de désir qu’il s’agit, en se frottant au désir amoureux, établit paradoxalement, et presque mystérieusement, que dans ce domaine, la distance est de rigueur.
Voici le clip résumant leur trajet :
et le site qui accompagne l’ensemble de l’opération de communication; à ma connaissance, une seule de mes élèves maîtrise le japonais, les autres seront un peu égarés… http://www.lovedistance.jp/