Le magazine Playboy a, dès les années 60, assis sa réputation sur deux fondamentaux censés attirer à l’époque l’homme « moderne » tel que la presse anglo saxonne se le figurait : les femmes charmantes et les interviews de grands témoins culturels de l’époque. Que Jean-Paul Sartre soit, dans le numéro d’Avril 1965, longuement questionné dans une interview retranscrite sur une dizaine de pages n’est pas surprenant, dans la mesure où l’orientation éditoriale semble avoir deviné vingt ans avant Thierry Ardisson qu’un intellectuel fera l’objet d’une plus grande audience s’il fait partie d’une revue l’accompagnant de playmates et de reportages forts en sensations. On est d’autant moins surpris qu’en fait, Sartre fait déjà l’objet, à lui seul, d’une passion populaire qui n’est pas dénuée de malentendus. Rares auront été, dans l’histoire des idées, les penseurs connaissant un succès tel que des auteurs parodieront leur aura médiatique (on pense évidemment à Boris Vian créant le personnage de Jean-Sol Partre dans L’Ecume des jours, mettant en scène une réplique délirante de la célèbre conférence « L’Existentialisme est un humanisme« ). A vrai dire, le seul à être devenu, de façon égale, « personnage » à part entière fut Socrate, que le théâtre de son temps parodiait volontiers.
Les questions proposées à Sartre lui permettent de revenir en termes simples sur divers aspects de sa pensée. Cela va des rapports avec Jean Genêt (Sartre a précédemment publié un ouvrage saisissant intitulé Saint Genêt, comédien et martyre), à la mode existentialiste en passant par son engagement politique et évidemment, les thèmes essentiels de sa pensée, et en particulier la Liberté. Sans être un dialogue véritablement philosophique (l’interlocuteur de Sartre n’a pas les moyens de pousser l’auteur dans ses retranchements, mais là n’est pas l’objet de l’article)), l’entrevue permet d’éclairer certains aspects des thèses présentées dans le court opuscule tiré de la conférence donnée le 29 Octobre 1945.
On livre ici l’interview dans sa version d’origine, c’est à dire en anglais non sous-titré, tout le monde lisant désormais couramment l’anglais. On y laisse les publicités, quand bien même porteraient-elles sur le tabac. On savourera la réclame de la dernière page, qui tente de discerner l’essence du lecteur de Playboy, à l’issue de cette interview qui aura eu pour objet central le peu de sens qu’il y a à établir une telle essence pour l’être humain, et l’aliénation que constitue le fait de produire de telles essence dans une stricte perspective consumériste.