Ce ne sont pas les tentatives de connexion entre la philosophie et d’autres domaines qui manquent. Cinéma, jeu vidéo, littérature, séries télévisées, technologie et même, rock’n’roll, tout y passe (et encore, on n’a pas encore traduit l’incroyable collection de contributions anglo-saxonnes, dont la série d’ouvrages publiés dans la collection Blackwell philosophy and pop culture (pour un petit aperçu de cette galaxie éditoriale : http://eu.wiley.com/WileyCDA/Section/id-324354.html). Manquent, en français, le rap, et la pop, peu exploités. Pourtant, si finalement, la conversation peut se faire entre ces domaines et la philosophie, c’est parce que, comme on peut l’étudier en particulier chez Platon, finalement, ce que nous recherchons, ce sont des formes. Et quand on fait dialoguer cinéma, littérature, bande dessinée, jeu vidéo, rock’n’roll, opéra, séries télévisées avec la philosophie, quand c’est bien fait, c’est toujours avec l’ambition de profiter des formes travaillées dans un domaine pour mieux permettre de saisir celles qui sont travaillées dans l’autre. A la limite, on pourrait le faire avec n’importe quel domaine dans lequel la forme est essentielle, le design, le monde automobile (on y travaille), le rap, ou donc, la pop music.
Il y a quelques jours, Gilles Vervisch discernait des accents existentialistes dans Je m’voyais déjà, de Charles Aznavour, (ça peut se lire en cliquant ici-même), alors que j’avais perçu les résonances voisines, plus pascaliennes, dans Et si tu n’existais pas, de Joe Dassin (on peut retrouver la courte évocation de cette association en cliquant ici, et en jetant un coup d’oeil à la date du 17 avril, mais je penserai un de ces jours à en faire un développement ici même). Autant dire que dès qu’on commence ce genre d’exercices, on se met à réécouter toute sa discothèque en se demandant si on ne pourrait pas prendre chaque titre comme point de départ à l’évocation de tel ou tel concept philosophique. Vérification faite, tous ne s’y prêtent pas, mais il arrive qu’au détour d’une playlist, soudainement, l’illumination ait lieu. Et souvent, ça s’allume dès qu’on jette un coup d’oeil au titre que les enceintes ou le casque sont en train de diffuser.
[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=y_p-gacgSns[/youtube]
Ainsi, quand on est amateur de parenthèses, le You make me feel (mighty real) de Sylvester ne peut pas laisser totalement indifférent. Qu’un titre disco, précurseur de ce qui deviendra la HI-NRG, comporte en son titre l’évocation de ce qui se ressent n’a rien d’étonnant. La musique disco est une musique de club, qui se vit dans l’instant et joue entièrement sur l’effet qu’elle parvient à produire sur le corps qui est en train de l’éprouver. A la différence de la soul, qui joue sur des rapports de temps plus complexes, et évoque une élévation déconnectée de l’instant de l’écoute, l’épanouissement disco ne dure que ce que dure un morceau ou un enchaînement, et s’évanouit aussitôt, laissant au petit matin tout son petit monde anéanti, attendant déjà le prochain samedi soir pour pouvoir de nouveau se connecter avec soi-même. Aussi, quand la disco aborde la question de l’amour (c’est à dire, en gros, tout le temps), elle le fait en se concentrant sur ce que ça fait, que d’aimer et être aimé. Et dans ses plus grands titres, elle se contente d’ailleurs d’en dire le moins possible, renonçant à décrire ce qui ne peut que s’éprouver, et ça donne cette montée au septième ciel qu’est le I feel love, de Donna Summer, savamment mis en scène par Patrick Cowley dans le remix qui l’a transformé en machine de guerre lascive.
Que Sylvester soit ce chanteur à ce point ambigu qu’on pourrait le prendre pour la réunion plus intime encore qu’avant d’être séparées, des fameuses deux moitiés évoquées par Aristophane dans le Banquet de Platon n’est sans doute pas tout à fait un hasard. Il n’y a là rien de programmé, et la personnalité de Sylvester ne fait pas partie d’un plan media particulièrement soigné. Tout simplement, cette chanson lui tombe dessus sous la forme d’une ballade que Patrick Cowley demandera l’autorisation de revisiter à sa manière afin d’en faire cette petite mécanique imparablement efficace. Située à la frontière de mondes distants, la tradition de la musique noire qui donne envie de bouger d’un côté, et les synthétiseurs qui sont comme autant de réservoirs de Propergol susceptibles de propulser l’engin vers l’univers, et au-delà. Imaginons juste le vaisseau Enterprise transformé en boite de nuit géante, toutes loupiotes clignotantes, lancé dans une soirée pyjama conviant tout l’équipage à communier dans l’amour et la danse. Ce n’est pas tout à fait par hasard que, des années plus tard, lorsque Jimmy Sommerville reprendra ce titre dans une version dont le son semble avoir décidé de passer en vitesse hyperespace, il mettra en scène son clip au milieu d’étranges cratères extraterrestres, dans des tenues censées évoquer quelque conquête spatiale menée par une bande de joyeux fêtards intergalactiques (https://www.youtube.com/watch?v=2_BNL15OVhM)
Mais ce qui semble tout particulièrement attirer l’attention dans ce titre disco, c’est la profondeur de son titre qui signifie en gros : avec toi, je me sens rudement réel. Comme si pour le héros de cette aventure amoureuse, il y avait un doute, d’habitude, sur sa propre réalité, comme si celle-ci ne pouvait pleinement s’accomplir, passer de la puissance à l’acte, pour ainsi dire, que dans la rencontre amoureuse. Comme si s’aimer l’un l’autre, c’était aussi advenir ensemble à la réalité; en d’autres termes, comme si la réalité humaine consistait en ce rapport singulier avec autrui, dans l’amour. Voila qui contredirait deux hypothèses qui nous sont bien davantage familières :
La première, selon laquelle la réalité personnelle résiderait en soi, que ce soit dans son caractère, dans son corps, en somme dans une essence personnelle qu’il s’agirait de cultiver et exprimer envers et contre tout, hypothèse dont on sait qu’elle se heurte à de multiples obstacles, entre autres parce que sans culture, cette réalité personnelle est bien peut de choses, et qu’on ne peut se donner à soi-même cette culture, tout juste peut on l’entretenir une fois qu’on l’a reçue.
La seconde, selon laquelle autrui aurait bien quelque chose à voir avec ma propre réalité, mais sur le mode d’une contribution conflictuelle : ce serait dans la collision des consciences que je me constituerais, à la faveur d’un dépassement de mon moi, soit par la honte éprouvée dans l’objectivation par le regard d’autrui, que je pourrais retourner contre lui en l’objectivant à son tour, soit par l’esclavage retourné contre lui-même par l’entremise et le second effet surprise du travail, conçu comme une manière de poser sa marque sur le monde sous le nez d’un maître qui s’est perdu sans s’en apercevoir dans la pure consommation d’un monde dans lequel il ne laisse plus aucune trace de lui-même, alors qu’il ne peut que constater l’omniprésence des formes dont son esclave est l’auteur.
Dans un cas comme dans l’autre, c’est aux forceps que l’être humain parviendrait à la réalité et c’est en ordre dispersé qu’il y parvient, puisque c’est dans un conflit larvé permanent que peu à peu chacun se construit contre les autres. Qu’on pense aux stratégies mises en oeuvre par le personnage principal du film de Jacques Audiard, Un Prophète, qui peut à bien des égards être regardé comme développant une forme étonnamment proche du scénario décrit par Hegel dans sa Phénoménologie de l’Esprit, qu’on lise l’échange à mi-chemin de la diplomatie et du marchandage, entre le client et le dealer de Dans la Solitude des champs de coton, de Bernard-Marie Koltes.
Avec Sylvester, l’expression « faire l’amour » prend tout son sens, et on retrouve en elle cette propriété paradoxale qu’on a déjà croisée dans le travail : si en travaillant, on se travaille aussi soi-même, ici quand on fait l’amour, c’est aussi l’amour qui nous fait. D’où cette possibilité de parvenir à la réalité dans l’expérience amoureuse. De la boite de nuit à la poursuite de la nuit dans l’appartement d’un des deux amants, au son de la musique viennoise (qui n’a a priori rien à voir avec la musique disco), c’est l’amour qui réalise celui qui le vit.
On est très tenté, dès lors, de tisser un lien entre Sylvester et son You Make me Feel (Mighty Real) et les thèses de ce courant aujourd’hui un peu oublié qu’est le personnalisme. En effet, pour celui-ci, et pour Emmanuel Mounier en particulier, c’est dans la relation amoureuse que la personne s’accomplit véritablement, autrui est donc celui qui me réalise pleinement, ce qui signifie que, seul, je demeure embryonnaire
Un passage, en particulier, d’Emmanuel Mounier, nous vient à l’esprit alors que nous nous évoluons sur la piste de danse, la tête légèrement ailleurs, tiré de son ouvrage sobrement intitulé Le Personnalisme :
« Le premier mouvement qui révèle un être humain dans la petite enfance est un mouvement vers autrui : l’enfant de six à douze mois, sortant de la vie végétative, se découvre en autrui, s’apprend dans des attitudes commandées par le regard d’autrui. Ce n’est que plus tard, vers la troisième année, que viendra la première vague d’égocentrisme réfléchi. Nous sommes influencés, quand nous pensons la personne, par l’image d’une silhouette. Nous nous plaçons alors devant la personne comme devant un objet. Mais mon corps, c’est aussi ce trou de l’oeil béant sur le monde, et moi-même oublié. Par expérience intérieure, la personne nous apparaît aussi comme une présence dirigée vers le monde et les autres personnes, sans bornes, mêlée à eux, en perspective d’universalité. Les autres personnes ne la limitent pas, elles la font être et croître.
Elle n’existe que vers autrui, elle ne se connaît que par autrui, elle ne se trouve qu’en autrui. L’expérience primitive de la personne est l’expérience de la seconde personne. Le tu, et en lui le nous, précède le je, ou au moins l’accompagne. C’est dans la nature matérielle (et nous y sommes partiellement soumis) que règne l’exclusion, parce qu’un espace ne peut être deux fois occupé. Mais la personne, par le mouvement qui la fait être, s’ex-pose. Ainsi est-elle par nature communicable, elle est même seule à l’être. Il faut partir de ce fait primitif.
De même que le philosophe qui s’enferme d’abord dans la pensée ne trouvera jamais une porte vers l’être, de même celui qui s’enferme d’abord dans le moi ne trouve jamais le chemin vers autrui. Lorsque la communication se relâche ou se corrompt, je me perds profondément moi-même : toutes les folies sont un échec du rapport avec autrui, — alter devient alienus, je deviens, à mon tour, étranger à moi-même, aliéné. on pourrait presque dire que je n’existe que dans la mesure où j’existe pour autrui, et, à la limite : être, c’est aimer. »
Soyons attentifs à la façon dont, dans le premier paragraphe, la figure de la personne semble être non pas recueillie au coeur du corps de chacun, mais bien plutôt tendue entre les êtres, à tel point qu’on a du mal à saisir s’il évoque ma personne, ou celle des autres. Ce paragraphe n’est qu’un écho des consciences se répondant les unes les autres comme on entonne un canon, les voix s’additionnant pour donner sens aux autres voix, mettant en évidence la réciprocité des consciences : autrui est alors d’emblée, comme moi même, sujet. Il est ce en quoi, comme en moi, le monde trouve une perspective. Et ce mouvement de constitution réciproque entre les autres conscience, on le partage évidemment et on y participe.
La second paragraphe pousse le principe dans ses conséquences, et peut se permettre d’avancer des propositions plus radicales : il n’y a personne sans autre personne, c’est le ‘tu’ qui constitue le ‘je’, pas seulement parce que sinon, le ‘je’ serait vain, mais avant tout parce qu’autrui constitue m’est essentiel. Ce qui ne signifie pas seulement que j’en ai besoin, mais plus puissamment encore qu’il est en moi tout comme je ne me trouve qu’en lui. C’est dans ce paragraphe qu’on trouve les signes d’une familiarité entre le personnalisme et l’existentialisme, au moment où on ne peut se résoudre à réduire la personne à la place qu’elle occupe dans l’espace (et qu’elle est bel et bien seule à occuper), au moment où, donc, on constate qu’on ne peut que la concevoir comme une projection de soi au-delà de ce qu’on est présentement. C’est ce mouvement d’ex-position de soi qu’évoque Mounier. Comprenons le mot au pied de la lettre : s’ex-poser, c’est se poser à l’extérieur de soi-même. Tout comme exister c’est se tenir hors de soi-même. Et dire que la personne est communicable, c’est la définir comme étant par nature une tension entre elle-même et ce qu’elle n’est pas. Or autrui, si on y prête attention, est précisément cet autre que moi qui cependant se tient là, comme moi; alter ego. Il est ce avec quoi je ne peux qu’entrer en résonance. Ne pouvant me réduire à mon seul « moi », je dois me concevoir comme la tension qui s’établit lorsqu’autrui vient constituer un pôle avec lequel cette tension peut s’établir. Alors, je me réalise.
Ainsi, lorsque le dernier paragraphe de ce passage établit que « celui qui s’enferme d’abord dans le moi ne trouve jamais le chemin vers autrui », on devine que le conséquence qu’il faut en tirer, c’est qu’il ne pourra pas non plus trouver le chemin vers lui-même, puisqu’à strictement parler, sans autrui, je ne suis pas, ce qu’accrédite la phrase suivante. C’est quand les ponts sont rompus avec autrui qu’il n’est plus à mes yeux sans perspectives, qu’un étranger, pure altérité, telle qu’on peut l’éprouver face aux objets. Je pourrais tisser l’espoir fou de me retirer au sein de ma citadelle intérieure, mais ce serait me perdre moi-même en oubliant que la réalité de chacun se trouve chez l’autre. Aussi, si classiquement, on définit l’aliéné comme celui qui est comme possédé par un autre que lui, celui qui entend des voix, celui qui a des visions, celui qui se prend pour quelqu’un d’autre, on voit apparaître ici une nouvelle conception de l’aliéné, comme celui qui ne serait que lui-même et vivrait dans l’autarcie de son propre moi.
Or, quel nom peut-on donner à cette expérience par laquelle je ne suis que dans la relation avec autrui, si ce n’est « amour » ? On comprend la fin de ce passage quand on repère la tension qu’il y a dans la dernière expression, autour des verbes « aimer » et « exister ». Je ne suis que dans la mesure où j’existe pour autrui. En d’autres termes, on ne peut être qu’à la condition de ne pas qu’être. L’être ne se suffit pas à lui-même, sinon il n’est rien, ou si peu. C’est quand « nous » sommes que « je » peut exister. On peut alors dire que la réalité humaine se trouve dans cette tension interpersonnelle, dans la coexistence qui ne nie pas la personne, mais la conditionne à la présence des autres; et c’est dans la relation amoureuse que cette dialectique existentielle s’établit de la manière la plus puissante, à tel point qu’un des partenaires de pensée de Mounier, Jean Lacroix, dans Le Sens du dialogue, écrira à propos de la camaraderie, déjà, « les camarades se constituent comme tels réciproquement dans ce qu’ils mettent communément en oeuvre : « ce qui compte dans la camaraderie c’est ce que l’on fait ensemble, non ceux qui le font; on pourrait dire en un sens de l’univers de la camaraderie qu’il est purement public. La vie privée n’y a aucune part » [note du moine copiste : autant dire, dès lors, que la camaraderie semble être assez incompatible avec les réseaux sociaux, qui sont précisément ce type de lien dans lequel on ne fait rien avec les autres, puisqu’on s’y met en scène faisant des choses devant eux, mais sans eux]. L’amitié, au contraire, est conçue comme relation qui n’est plus fondée sur ce qu’on fait ensemble, sur l’oeuvre commune, mais qui n’est pas non plus la consécration de ce qu’on est déjà, l’un et l’autre, avant la rencontre. Pour Jean Lacroix, les amis « s’aiment non pour ce qu’ils sont mais pour ce qu’il espèrent devenir l’un par l’autre ». En croisant Lacroix et Mounier, on peut mieux saisir le sens profond des derniers mots du passage qui nous intéressait ici, qui peut désormais pleinement résonner : « à la limite : être, c’est aimer ».
Alors, quand Sylvester chante que l’amour le fait se sentir si puissamment réel, on se dit que l’amour, ici aussi, a pour effet de permettre de se saisir comme pleinement « là » alors même que, justement, notre présence au monde ne peut pas se réduire au simple fait d’être ici. C’est tout le paradoxe de l’amour : on s’y retrouve ailleurs qu’en soi-même. Ou bien on découvre qu’on n’est pas que ce qu’on se croyait être. En Allemand, chez Heidegger en particulier, on a pris l’habitude de nommer dasein, ce concept un peu complexe, qu’il est tout aussi délicat de traduire (ça donnerait « l’être-là », comme on dit de certains être qu’ils sont des « êtres vivants ») que d’expliquer. Dans une note de bas de page d’un petit livre de Ludwig Binswanger (Rêve et Existence), à partir de ce passage où l’auteur écrit : « Jusqu’à ce que nous trouvions un nouveau point d’appui ferme dans le monde, notre Dasein tout entierse voit orienté dans la direction de sens du chancèlement, de l’affaissement, de la chute », on trouve cette indication :
Le terme de Dasein est la traduction allemande du mot latin existentia et il a le sens de l’être là de quelque chose par opposition à son essence. [Note du moine copiste : on observera, au passage, que curieusement, le mot dasein signifie l’existence alors même que la construction de ces deux mots pourrait au premier abord sembler être l’une, l’opposée de l’autre (existence renvoie à la projection dans un « ailleurs », ou un « autre que », alors que « être-là » semblerait circonscrire l’être à lui-même). Mais c’est dû à une imprécision dont nous sommes souvent victimes dans l’usage du français : nous confondons « là » et « ici ». Or da, en allemand, signifie bien « là » (ou même « là-bas »), et non pas « ici » (qui se dit her). Il faut donc comprendre le Dasein comme signifiant « être-là », et non pas « être-ici ». Alors, on peut percevoir et concevoir en quoi le Dasein est structurellement proche du concept d’existence, et on cerne mieux le sens de ce début de définition]. Mais Martin Heidegger, qui a réservé ce terme à la désignation exclusive de l’être de l’homme, lui a donné un nouveau sens, dans lequel l’accent n’est pas mis sur le fait d’être là, mais sur la relation e l’homme à l’être, de sorte que l’homme y est considéré comme le « là » (da) de la compréhension de l’être (sein). C’est en ce sens, intraduisible en français, que Binswanger l’emploie ici.]
Il suffit de regarder Sylvester pour constater qu’il incarne à sa manière cette aptitude humaine à ce qu’on pourrait appeller l’étrengeté (ou l’étre-en-jeté (mais il est toujours délicat d’inventer un concept en français sur le modèle de ce que donnerait sa traduction en français si c’était un concept allemand)). L’ambivalence de son allure, l’entre-deux dans lequel il semble se situer, sans pourtant que cela apparaisse comme une hésitation ou comme une erreur en dit long sur cette trajectoire qui est la sienne. Et si Heidegger désigne, par le Dasein, la réalité humaine dans ce qu’elle a de plus unique, alors on peut saisir dans le refrain « You make me feel (mighty real) » une forme qui est aussi une force, celle-là même qui anime l’humanité. Et nul n’est mieux déplacé qu’un autre moi pour m’amener là où je me trouve.