Lieu : Galerie Emmanuel Perrotin
Deux adresses, car la galerie est scindée sur deux sites, proches néanmoins :
10 impasse Saint Claude 75003 Paris
76 rue de Turenne 75003 Paris
informations sur la galerie et sur l’artiste : www.galerieperrotin.com
Du Mardi au Samedi, de 11 à 19h.
Métro : Saint-Sébastien-Froissart – Ligne 8
Le pop-art est ce courant qui, dans l’histoire de l’art, est le plus volontiers déconsidéré. Laissé comme morceau de second choix à ceux qui ont la faiblesse de s’y intéresser, il est assez souvent considéré comme une sorte de moment récréatif dans une histoire de l’art qui aurait, tout de même, plus important et plus sérieux à faire. Pourtant, si l’art est cette manière d’agir qui dépasse les conditions dans lesquelles il est pratiqué pour ne rien viser d’autre que lui-même, alors le pop-art, en recyclant rien moins que le monde de la consommation lui-même, est sans doute la seule voie qui réussisse à faire quelque chose de ce monde qui est le nôtre. Et après tout, c’est bien cela que nous apprécions dans les arts plus anciens : la façon dont ils saisissent le monde qui est le leur pour en faire tout à fait autre chose, comme si on arrachait les formes au terreau dans lequel elles ont poussé pour les transplanter dans un ailleurs.
Mais une autre raison pour laquelle on peut s’intéresser au mouvement pop-art, c’est qu’il fait partie de ces quelques rares survivants à l’époque qui l’a créé. Ainsi, encore aujourd’hui, ce courant embarque avec lui des artistes qui gonflent leur matelas pneumatique flashy, et se lancent dans le fleuve, surfant légèrement sur les vagues voisines du succès et de l’anonymat, des collaborations et des productions solitaires, à moitié dans le « fun », et à moitié dans la prise de position très conceptuelle sur ce qu’est censé être une oeuvre d’art. En fait, si ces artistes semblent évoluer dans un espace artistique qui leur est propre, c’est bien parce que la plupart ne se soucient tout simplement pas de savoir si ce qu’ils font relève de l’art. Ce qui demeure peut être une des plus sûres manières de s’en approcher. Cela fait un peu penser à la manière dont Paul Auster décrit la technique qui permet de voler, dans Mr Vertigo : tomber en ratant le sol. Le pop-art consisterait à créer des oeuvres d’art en tombant à côté de ce qu’on visait, et à comprendre finalement que, viser, en art, ne sert à rien, si ce n’est à croire avoir atteint son but par simple strabisme esthétique : si on atteint ce qu’on croyait devoir poursuivre, c’est qu’on est à côté de la plaque. Ainsi, le pop-art est un mouvement qui pose la question de l’art en ne se la posant pas. Voila de quoi intéresser ceux qui, parce qu’ils ne sont justement pas artistes, la posent, eux, cette question.
L’occasion est offerte, pour encore quelques jours, de se confronter à ce courant par l’intermédiaire d’un artiste actuel, Takashi Murakami, peintre et sculpteur japonais qui se tient au confluent de courants artistiques aussi divers que le pop-art sus-mentionné, l’estampe ukiyo-e telle qu’elle était pratiquée au 17è siècle au japon, le design, le manga et le style kawaï. En traversant des influences aussi diverses, il n’est pas étonnant qu’on ait tous croisé les formes créées par Takashi Murakami sans le savoir : publicités, visuels et spots video pour Louis Vuitton, pochette de l’album graduation de Kanye West, et clip de son titre Good Morning. On peut se contenter de participer au monde de l’échange des marchandises, s’emballer, acheter, déballer, utiliser, se lasser, jeter, s’emballer de nouveau, racheter… On peut aussi, plutôt que d’être balloté par un courant de formes dont on a l’impression qu’elles ne viennent de nulle part, traverser la surface des marchandises pour tenter de remonter à leur source.
Il n’est pas absolument certain que cela constitue la totalité de la démarche platonicienne. Cependant, il n’est pas impossible que ce soit une des voies qui permettent de commencer l’ascension au-delà des attachements commerciaux, dont on sait bien qu’ils sont excessivement fondés sur l’humeur du moment, les incitations éphémères de l’air du temps pour nous permettre de toucher à quelque chose de durable (or, en philosophie, c’est bien quelque chose de stable, de constant, voire même d’éternel que nous visons, et ce y compris à travers des objets aussi futiles que ceux du pop-art), vers les formes elles-mêmes, c’est à dire dans une dimension détachée des objets, et de leur échange.
Où effectuer cette expérience ? Galerie Perrotin, dans le 3è arrondissement de Paris. Jusqu’au 17 Octobre 2009, les deux espaces de la galerie sont entièrement consacrés à Takashi Murakami. Figurines, séries de petits formats qui sont autant d’hommages aux tondos du peintre du 17è siècle, Ogata Kôrin, deux films, trois peintures monumentales, uniquement des oeuvres inédites. Absence de perspective, motifs répétés à l’infini, apparente superficialité des formes qui n’est en fait qu’un leurre (ici comme dans toutes les oeuvres majeures et selon la formule maintenant consacrée de Godard, ce ne sont pas juste des images, mais des images justes). Voila l’occasion d’aller vers l’art sans tomber dans les poncifs qui consistent toujours à aller vers ce qui est déjà très clairement installé dans la sphère de l’art officiel L’expérience doit être vivante, elle doit être remplie de doute, de l’incertitude sur ce à quoi on est confronté. Les conditions semblent réunies ici pour qu’une rencontre imprévue ait lieu. Ensuite, et ensuite seulement, quand on a éprouvé ce que la vie de l’art là où elle a lieu (et où peut il mieux vivre que dans les galeries ?), on pourra aller vers les classiques, en se rappelant qu’en leur temps, ils ont été perçu par l’établishment à peu près comme on peut considérer aujourd’hui Murakami.
Une dernière chose :
Lycéen, étudiant fauché, les galeries sont tes amies : leur entrée est gratuite, l’art y est vivant, il y a moyen, quand on est un peu malin et informé (mais tu as internet, n’est ce pas ?) de grignoter deux trois petits fours et boire quelques boissons lors des vernissages, où on croise du monde. C’est là que les oeuvres entrent sur le marché, c’est là qu’elles sont reconnues par ceux qui ont le regard plus aiguisé que le commun des mortels, c’est là qu’elles prennent vie. Bien sûr, parce que c’est aussi là qu’elles sont aussi un peu des marchandises, c’est aussi là qu’on se trompe parfois sur leur compte, mais c’est aussi là que nait l’espoir. Alors, si on veut vraiment s’intéresser à l’art tel qu’il vit aujourd’hui, c’est dans cette direction qu’il faut aller (ce n’est pas la seule, cependant : la rue, elle aussi, constitue le milieu naturel de l’art). Les portes de ces lieux peuvent semblent sélectives, on peut ne pas oser y entrer. Il n’y a pourtant aucune bonne raison de résister à cet appel. On ne saura donc trop conseiller, comme devoirs d »école et comme travail scolaire, d’aller régulièrement faire un tour dans les galeries.
Récréation pour de bon, maintenant, avec le clip intitulé Good Morning, réalisé par Murakami pour Kanye West, tout y est, les personnages/figurines, la Delorean (qui doit être en passe de devenir le modèle de bagnole le plus présent dans les clips), le psychédélisme enfantin permettant la répétition des motifs et la perte de contact avec ce qu’on appelle, usuellement, le réel. Pour autant, le clip reste en deça de ce que propose Murakami dans le reste de son oeuvre :