Lieux :
jusqu’au 13 décembre 2009,
Maison de la Poésie :
157 Rue Saint Martin 75003 PARIS
75003 Paris
Tarif : 16€ pour les moins de 30 ans
http://www.maisondelapoesieparis.com/
le 7 Janvier 2010 :
Maison de la Poésie,
88, rue Saint-Denis
92700 Colombes
Tarif : 20€ pour les moins de 20 ans
On l’a abordé en cours (désolé pour ceux qui, sans doute majoritaires parmi les lecteurs de ce blog, ne sont pas en classe pour saisir l’origine de certains des articles développés ici même), la pièce de Shakespeare, Timon d’Athènes, est actuellement jouée, et donc visible, dans une mise en scène qui lui permet de se renouveler, et de mettre en valeur le caractère intemporel de l’écriture shakespearienne.
Timon d’Athènes, c’est une pièce qu’on pourrait intégrer à une bibliographie sur l’argent (notre thème du moment, en classe, et on fournira, à ce sujet une bibliographie et une filmographie qui intéresseront les étudiants en prépa cette année). Si on devait la résumer, on pourrait dire qu’il s’agit d’un double mouvement, ascendant, permis par l’influence sociale de l’argent, suivi d’un retour, à rebrousse-poils pour ainsi dire, lorsque l’argent vient à manquer et que les relations sociales se délitent. Philanthrope lorsqu’il est riche, ce qui lui permet d’avoir à sa botte toute la bonne société d’Athènes, Timon devient peu à peu misanthrope lorsque son entourage prend ses distances, attiré par une autre fortune, plus durable. Abandonnant la foule et l’urbanité, c’est dans la forêt qu’il trouvera refuge, loin des hommes qu’il ne fascine plus, conscient qu’il ne les a en fait jamais, par lui-même, attirés, qu’il était en retrait derrière sa façade monétaire; c’est là, au milieu des arbres, qu’il mourra.
Razerka Ben Sadia-Lavant signe la mise en scène actuelle (en tous les sens du terme) de cette pièce, dans une version resérrée sur l’essentiel, réduite à une durée d’une heure et demie, soit la moitié de sa durée originelle. Sur scène, des spécialistes du texte dit, des experts de la transmission orale, avec tout ce que cela comporte de maîtrise des mots, mais aussi du ton, de la chaleur de la voix, de son intensité, de son rythme, de son aptitude à frapper, claquer, se détendre, carresser, suggérer, appeler, viser un spectateur qui redécouvre un texte, non pas comme il n’a jamais été, mais plutôt tel qu’on a oublié qu’il pouvait être. Sur scène, donc, des slameurs, des rappers, Casey (une des ces pratiquantes du rap qui fait passer son art avant sa petite personne, et qui ne doit sa notoriété qu’à sa pratique artistique, et non à quelque mise en scène médiatique de son « devenir pratiquante »), D’ De Kabal (lyriciste talentueux, qui semble incarner le vieux slogan de Pathé-Marconi : « La voix de son maître »), qui prennent en charge les mots de Shakespeare, et leur redonnent vie. Sur scène, aussi, un corps, Denis Lavant, que certains connaissant comme personnage central du clip de UNKLE, Rabbit in your headlight, et qu’on retrouve ici, parlant, mais toujours aussi physique. Sur scène, aussi, des musiciens qui appuient le rythem des textes, les soulignent pour les mettre davantage en valeur, encore.
Ce que réussit ici Razerka Ben Sadia-Lavant, c’est à éviter de faire du slam et du rap des gadgets plaqués artificiellement sur un récit qui se trouverait alors simplement customisé selon la mode du moment. Au contraire, ce qui fonctionne, ici, c’est le caractère intemporel de ces dictions, comme si les voix prenaient soudainement racine dans des strates jusqu’ici méconnues de la parole, comme si se tenant à l’exacte frontière du chant et de la diction, les mélopées antiques trouvaient là leur souffle, leur raison, leur nature décapée de tous les ornements trop riches dont on aime les voir afublées, au point de considérer aujourd’hui que le rappeur est un chanteur amputé de la mélodie. Erreur : c’est souvent le chant qui est une voix alourdie d’effets grandiloquents qui parasitent l’élan originel. La mélopée, ce n’est rien d’autre qu’un chant (mélos), qui se fait (Poia). Retour aux sources, à la pauvreté essentiel, expérience ascétique de l’absence d’effets gonflants, nettoyage à sec de Shakespeare, qui accompagne parfaitement, les yeux et les oreilles en sont témoins, cette impression que donnent bien souvent les textes de Shakespear, qu’ils n’ont pas été écrits en un temps particulier, mais qu’ils accompagnent les hommes, depuis toujours, comme des esprits attentifs, lucides, clairvoyants dans ce monde habitué à faire « beaucoup de bruit, pour rien ».
Cette pièce est proposée, jusqu’au 13 Décembre, à la Maison de la Poésie. Elle sera jouée, ensuite, le 7 janvier 2010, à l’Avant-scène, théâtre de Colombes. Etant donnés les projets respectifs de chacun des acteurs de cette pièce, il est peu probable qu’on puisse, ensuite, voir de nouveau Timon d’Athènes dans cette mise en scène.