Dans le règne des objets, l’automobile est loin d’être considérée par ses utilisateurs pour sa seule valeur d’usage, et ce d’autant moins que son usage, précisément demeure flou : irréductible au seul mouvement qu’elle permet, elle fait partie de ces biens qui drainent dans leur sillage un faisceau de valeurs a priori secondaires, qui finissent cependant parfois, pour les modèles et les marques considérés comme les plus prestigieux, les plus désirables, par dépasser l’essence première de la machine à translation.
Cependant en phase de crise, au moment où on compte davantage l’argent, où on consomme de manière un tout petit peu moins « spontanée », quand le plaisir lié à la puissance et à la vitesse se heurte à la mauvaise conscience écologique, apparait nécessairement une tendance à se replier vers ce qui définit en propre la voiture, opposée ici à la mythique « bagnole ». Logan, Tata, citadines, routières, familiales, bétaillères, on revient à la fonction définissant la forme, à la stricte valeur d’usage du véhicule, tentant ainsi de légitimer nos déplacements en voyant en eux des mouvements nécessaires, et non plaisants.
Ce qui est nié, alors, c’est la performance. Et le risque pour certaines marques, qui ont construit leur image sur la puissance, l’efficacité des mécaniques, l’accumulation des équipements, la sophistication des dispositifs techniques accompagnant le pilote, permettant des vitesses de déplacements toujours plus élevées, le risque, c’est de voir cette image ternie, ringardisée, renvoyée à un passé à moitié attachant, à moitié inquiétant, un peu à la manière dont Lynch, dans la seconde moitié, retournée, de Lost Highway, nous peint ces mafieux échappés d’un autre temps, amateurs de Mercedes Vintage customisées, échos d’un temps révolu, et pourtant amateurs de plaisirs sur lesquels se fondent, encore, les chiffres de ventes de marques plaçant volontiers dans leur argumentaire, des chiffres édifiants, allant du détail, au centième de secondes près du passage de 0 à 100 km/h, à la distance nécessaire pour mettre ces deux tonnes de matériaux à l’arrêt, quand cette masse est lancée à 130 km/h.
Pour faire profil bas, la marque peut alors choisir de revenir vers des fondamentaux censément partageables par tous, abstraction faite du prix des objets en question. Ainsi, ces dernières semaines, la très technologique (au sens propre) marque BMW livre t-elle sur les medias une campagne publicitaire qui laisse de côté tout démonstration de force, toute mise en valeur des chevaux vapeurs situés sous les longs capots avant de ses modèles, pour revenir à un concept présenté comme fondateur : la joie.
Evidemment, pour quiconque a déjà un peu pensé par soi même, et a eu besoin pour ce faire d’aller vers la pensée de quelques autres penseurs, le mot « joie » a moins à voir avec BMW qu’avec Spinoza. Mais, même si on a les références conceptuelles qu’on peut, il est possible de se demander si, tout relativisme de la définition de la joie mis à part, il est vraiment envisageable d’associer ainsi une lignée de bagnoles au concept de joie. Or, la joie, chez Spinoza, c’est justement cette forme d’accomplissement qui s’oppose à celui des passions. Autant dire que BMW et Spinoza ne sont pas tout à fait d’accord sur ce qui est susceptible de nous mettre en joie : si pour la marque à l’hélice, c’est le fait d’avoir dépensé une petite fortune dans un engin à quatre roues et un long capot qui suscite la joie, si celle ci est permise par le fait d’avoir cédé aux sirènes, pour le philosophe réfugié en hollande, c’est précisément le fait d’avoir franchi le cap des passions, pour entrer dans la sphère du désir, qui est à l’origine de la joie. En d’autres termes, là où la publicité essaie de réveiller sans cesse l’irrationnel qui sommeille en nous (et qui n’est jamais parti bien loin), Spinoza compte, au contraire, faire coïncider la joie avec l’entendement le plus lucide possible, le contrôle le plus total. Car tel est le désir, dont on voit bien ici qu’il s’oppose à la passion : si celle ci est, en nous, le moteur de la division, ce qui éloigne chacun de l’unité avec soi même. Le désir est, au contraire, ce mouvement qui nous entraîne vers l’union. Là où les passions ont pour résultat la dispersion, le désir est, lui, source d’expansion unifiée, développement de soi.
Problème : l’homme qui atteint le bonheur tel que le définit Spinoza achète peu, car il sait qu’il y a des manques qui, quand on les comble, nous vident peu à peu de nous mêmes. Il est davantage concentré sur un épanouissement considéré comme davantage d’être. La formule peut semble usée, à force d’avoir opposé être et avoir, mais elle prend son sens lorsque chez Spinoza il s’agit d’aller vers la conscience de l’appartenance, de la participation à l’Etre, à l’Unité du monde.
Dès lors, le recours à la joie, dans les publicité BMW, même s’il semble constituer un retour vers la raison, est en fait un leurre : une voiture, a fortiori telle que la publicité nous la présente ici (à la rigueur, s’il s’agissait de la Dodge Challenger de Kowalski, dans Point Limite Zéro, on ne repèrerait pas une telle supercherie, mais là, le chapelet de modèles BM, tels qu’ils sont présentés ici, ne peut à aucun moment se faire passer pour une quelconque mise en forme du désir), n’est même pas un dispositif technique : c’est un ensemble de pièces conçu pour générer une plus value considérable, qui est produit en grande quantité, et qui doit être consommé dans les mêmes échelles.
Pour ceux que le parallèle intrigue, ou intéresse, on le trouve développé bien mieux qu’ici dans le numéro 34 de la revue Le Tigre, (Novembre/Décembre 2009). La bien nommée Josée Oeil-de-Boeuf s’y amuse à croiser les expressions liées à la joie avec la marque BMW, pour éclairer à l’envers le hold-up que la marque effectue sur les mots. L’article est vrai petit plaisir, suffisamment bien tourné pour que je n’en reproduise ici aucun passage, si ce n’est une sorte de mise en bouche :
« »La joie est BMW », or BMW est « BMW le plaisir de conduire »: donc la joie est le plaisir de conduire. La joie est le plaisir. La joie n’en a rien à faire des nuances philosophiques. »
Est ce assez pour donner le ton de cet exercice de mise en évidence de la manipulation des concepts par la sphère de la publicité ? Est ce assez, aussi, pour révéler au passage à quel point la bagnole est cet objet sur lequel viennent crystaliser nos passions contemporaines, tant elle semble capable, et ce sans fin, d’incarner en elle ce que nous n’osons jamais être. Ainsi, je reprendrai pour moi ces deux lignes de l’article : « Et pourtant dieu sait que j’aime les belles bagnoles et les trajets interminables ».
La joie : rarement vu un slogan plus stupide ! Rien à voir avec la voiture…. probablement un problème de traductiion, le mot « joie » n’ayant peut-être pas la même connotation en français que « joy » en anglais.
on parlerait encore du « plaisir de conduire », ou du fun…, mais « la joie » ce n’était vraiment pas le bon terme à mettre en valeur…
Comparez avec la publicité de Renault pour la Nouvel-An 2010 qui vient de sortir,
bravo Renault, j’ai été séduit, c’est autrement plus motivant et en rapport avec ce qu’est censé dire un constructeur de voitures, mais quel punch !! Bravo !
Je ne parle pas ici des voitures en tant que telles, chacun ses goûts et son jugement, mais de campagnes de communication à l’opposé l’une de l’autre, et pour ce critère, désolé pour les BMWistes, Renault l’emporte haut la main en subtilité et efficacité !!
Les publicitaires du groupe BMW feraient bien de revoir leur copie…
Je ne suis guère familier des voitures, encore moins des BMW. Le monde de la publicité me laisse indifférent et compte tenu des journaux que je lis, de la chaîne de radio que j’écoute quelquefois (France culture) et de la télé que je ne regarde pas, je ne peux pas prétendre être assailli de messages m’incitant à investir dans tel ou tel produit. Etant assidu des cinémas, je n’avais cependant pas pu éviter la publicité pour BMW. Ce qui m’avait surtout frappé à l’époque, c’est son caractère volontairement international (à défaut de pouvoir être universel) que j’aurais assez volontiers accompagné d’un slogan du genre « Trous du cul yuppies de tous les pays unissez-vous ».
Pour voyager assez souvent, en particulier professionnellement, il m’arrive régulièrement de cotôyer cette faune, dans les avions, les trains, les hôtels, voire au restaurant quand je ne peux vraiment pas faire autrement. Je fréquente même assez régulièrement un hôtel à Erfurt où depuis plusieurs années, deux ou trois BMW renouvelées régulièrement, trônent dans le hall, soit pour donner de la joie, soit plus prosaïquement pour inciter les clients à acheter cette marque.
Au cours de mes voyages, notamment dans les TGV entre la France et l’Allemagne ou dans les ICE en Allemagne, on m’offre régulièrement Die Welt, la Frankfurter Allgemeine Zeitung ou la Süddeutsche Zeitung, autant de journaux que je n’ai jamais achetés de ma vie (on m’offre même Bild, mais j’ai mis un point d’honneur jusqu’à présent à ne jamais l’accepter !). Et j’y vois notamment des publicités pour BMW (terriblement absentes de Junge Welt ou de la Neues Deutschland que je paie de mes propres deniers). Et ce qui me frappe depuis plusieurs mois, c’est que la joie est toujours présente (Freude am Fahren), mais qu’elle est devenue terriblement utilitaire. Ainsi dans la Welt am Sonntag d’aujourd’hui, en page 11, on a droit à une publicité grand format d’une page entière (il en faut pour nourrir les 112 pages du journal !), avec une pouffe tout droit sortie de la publicité qu’on connaît, en haut à droite, mais tout le reste est destiné à promouvoir l’achat de BMW d’occasion. Oui, oui : BMW 525d Touring, EZ 10/07, 70 956 km, Moncacoblau, Leder schwarz… 24 901 €. On voudra bien m’excuser de me contenter de ce seul exemple raccourci. Mais il y a aussi du roadster et de la limousine.
Il y a quinze jours, c’était, si mes souvenirs sont exacts, un encouragement à souscrire à un service après-vente, toujours das la joie de conduire bien sûr.
Les trous du cul yuppies ont peut-être finalement une âme après tout. Noire certes, mais une âme pas tellement différente dans sa substance que celle du pauvre acheteur de Logan qui n’a pas le possibilité de l’acheter neuve ou de payer cash des frais de réparation.
Elle fait moins rêver la joie dans ce cas-là. Ca ne la rend pas spinoziste pour autant c’est vrai !
Pardon ! » (…) différente dans sa substance DE celle » et pas « QUE celle » : je suis monté dans une Mercedes samedi, ça ne semble pas m’avoir réussi ! J’avais une excuse : j’étais (je suis ?) amoureux.
L’amour embourgeoise, on a ici une preuve supplémentaire ! Et en matière de bourgeoisie, on sait y faire chez Mercedes. Même NTM s’y est laissé prendre quand ils ont viré west coast avec la Benz Benz Benz de Joey Starr.
Théoriquement, il y a chez BMW quelque chose de davantage prédateur, un genre de bagnole idéale pour requins de la finance (le nez assez inspiré du squale semble d’ailleurs en être l’expression). Cela dit, je ne ferai pas la fine bouche : pour avoir eu la chance d’apprendre à conduire sur un de ces engins, je sais quel plaisir il y a à commander du pied droit un gros six cylindres branché sur les roues arrière. Pour autant, je sais aussi que si ça m’a provoqué de la joie, c’était en un sens absolument individuel, comme une brusque extension des mes propres possibilités, mais au prix du déni quasi total de ma dimension sociale, puisque pour plein de raisons, cette joie ne pouvait pas être partagée et que, même, elle était décuplée par cette relative exclusivité dont je jouissais. Bref, joie pour l’individu, oui peut être, mais au prix d’un attristement de sa dimension sociale.
Mais il y a pire, aujourd’hui. Je ne les mettrai pas en ligne ici, parce que ce n’est pas l’objet, mais je le ferai ailleurs : ça fait un moment que les publicités Audi jouent sur le terrain très mesquin de l’exclusivité réservée à ceux qui travaillent beaucoup pour s’offrir ce qui est réservé à une minorité, et la marque n’hésite pas, parfois, à devenir carrément méprisante pour tous ceux qui ne peuvent pas se l’offrir. On devine que dès lors, ce n’est plus la joie provoquée par la conduite d’une BMW (après tout, cette joie provient bien de l’usage de l’objet), mais celle que suscite la simple possession d’une Audi que les plus pauvres n’ont pas, qui est visée par le message publicitaire. Et je ne suis pas certain que ça constitue un véritable progrès.
Mais peut être l’amour te conduira t-il à te trouver, un jour ou l’autre, passager d’un cabriolet à la calandre barrée de quatre anneaux enlacés, coude à la portière, raybans sur le nez, pull négligemment noué autour du cou. Il semble que ce soit ainsi que, chez les voituriers allemands, on se représente l’amour 🙂
Au Suite Novotel du boulevard de Dunkerque… à Marseille (ça ne s’invente pas !), mes fenêtres donnent sur un concessionnaire automobile appelé Station 7, en façade duquel s’étale une publicité gigantesque pour BMW dont le slogan est « La joie est toujours partante ». Compte tenu de la qualité architecturale du quartier (moitié docks pourris dont une partie franchement moins pourrie semble annexée par des bobos et moitié architecture stalinienne du XXIème siècle en bord de Méditerranée), plaisamment dénommé la Joliette (on sait rire ici !), je me dis que la garage et la publicité sont à leur vraie place : à la rencontre du lumpen prolet et des trous du cul yuppies qui ont en commun de baver devant les BMW. Et je me dis que cette joie annoncée est tellement partante qu’elle n’est déjà plus là. Ce que les habitants du quartier ont bien compris, puisqu’ils ont chahuté il y a peu les élus de la ville (ou de la communauté urbaine, c’est compliqué à Marseille !) venus leur expliquer qu’on s’occupait d’eux. Une de mes bonnes amies (bien introduite au conseil régional, je lui ai déjà demandé quelles oranges elle préfère) se fait fort de m’expliquer demain le dessous des cartes. Je ne manquerai pas de vous tenir au courant, s’il y a du croustillant.
Trop belle la vie !
Aujourd’hui dans la Welt am Sonntag (lue à l’hôtel,je ne pousse quand même pas le vicer jusqu’à acheter ce genre de presse), la joie se fait discrète : tout juste un quart de la page 3, mais quand même pour célébrer le cabriolet.
Il est vrai que l’heure n’est pas aux réjouissances. L’heure est grave et la tristesse a envahi tous les coeurs : Knut est mort… C’est en page 1 de la Welt am Sonntag. Je n’ai pas dit que c’est le gros titre, mais c’est quand même en page 1…
Dans la Welt am Sonntag d’hier (désolé je suis rentré tard hier soir, mon train avait du retard pour passer la frontière et la SNCF s’est crue autorisée à imiter la DB en rajoutant quelques dizaines de minutes, je n’ai pas eu le courage de m’y coller hier soir), la page 3 est pour un modèle en aluminium produit pas Audi et il faut attendre la page 15 pour la page BMW. La voiture en aluminium sourit de toute sa calendre et est assez ressemblante à la dame qui montre la joie qu’elle va éprouver à acheter une BMW d’occasion (eh oui, on promeut encore les occasions cette semaine). Voilà pour la joie.
Mais comme cette quasi-chronique tend un peu à faire du surplace par faute de non-renouvellement, c’est vers un concept voisin que nous fait glisser la page 63 (si on n’est pas mort étouffé sous les 118 pages de l’édition dominicale du quotidien dominical) : celui de plaisir. Et c’est un vieil habitué de ces pages ou plutôt des pages sistership tenues ailleurs sous un autre pseudo par l’estimé Harry Staut qui en fournit le prétexte.
J’ai nommé le redoutable Michel Houellebecq dont une interview d’une page complète des 14 pages Kultur (avec des pubs pour le pinard et les voyages organisés + un concours où on peut gagner une… Audi) nous apprend en titre que : « Ich (Michel Houellebecq) habe keine Lust mehr auf Sex ». Et que s’il s’y commet encore, c’est par habitude (comme tout le monde) et sans plaisir, trop préoccupé qu’il est par l’idée de la mort.
Au moins quand on est en France, on choisit plus spontanément des journaux où on est plus certain d’échapper à ce genre de sottises.
En même temps, dès l’Extension du domaine de la lutte, on devinait que le sexe n’était pas exactement, pour Houellebecq, une dimension dans laquelle on puisse s’épanouir.
Le problème, avec Houellebecq, c’est qu’on ne sait pas vraiment dans quelle dimension il est envisageable d’étendre son possible. Même quand il situe une partie de l’action des Particules élémentaires dans l’Espace du possible, ça sent plus ou moins l’enfermé.
Peut être, finalement, la littérature est elle sa seule dimension. Peu importe que Monsieur Houellebecq ait encore un peu de Lust auf Sex (une dose de Lust for life chez Iggy Pop devrait immuniser contre les germes houellebecquiens, qui peuvent vite donner l’impression de souffrir d’une mononucléose existentielle), ce qui semble plus intéressant, c’est qu’il y a dans sa littérature quelque chose qui attrape une partie de la nausée de jouissance ambiante, qui place sur le terrain du désir les méthodes comptables du management d’entreprise. C’est une restitution, et une mise en évidence, de cet univers gris-beige.
Pour qui prend souvent le TGV, il me semble que son disque Présence humaine, sonne comme une évidence de l’aptitude poétique du bonhomme, au delà de son personnage antipathique (et puis, on est tellement assommés de sympathie).
C’est d’ailleurs bien dommage que Houellebecq se contrefoute des bagnoles, parce qu’il saisirait alors comment les Audi sont une sorte de concentré des fantasmes de ce temps. Une fiction soi-disant haut de gamme dans une forme sans recherche. Un conte en alu pour ceux qui aiment faire leurs comptes.
Cela dit : scoop !
BMW abandonne le créneau de la joie pour privilégier désormais le concept d’allure. D’un strict point de vue lexical, on note les progrès des conseillers en communication. Pour le reste, toujours les mêmes rêves de bagnoles pachydermiques censées jouer les ballerines sur des routes en papier glacé, dont on sent bien que le seul usager, au volant de son cabriolet construit avec une rigueur dont seuls sont capables les ouvriers de Stuttgart, est tellement friqué qu’il a acheté non seulement la voiture, mais aussi les routes qui vont avec, faisant installer par ci par là, un pont suspendu en option, telle suite de virages qui vont bien, au milieu d’une montagne dont la verdeur de l’herbe sera exactement assortie au ton gris beige de la carrosserie (d’ailleurs, le spot met en scène exactement cela : le monde n’est là que pour se refléter dans la carrosserie de la bagnole, jusqu’à continuer à y défiler même quand elle est à l’arrêt). On note la disparition pure et simple de la femme, qui n’est plus l’accessoire à la mode (c’est que ce modèle n’est pas familial, la femme n’y a donc pas sa place, selon la rhétorique Béhèmedoublevétienne). Elle est remplacée par un énigmatique portier, auquel les versions étrangères de la publicité offrent plusieurs plans, sans qu’il prenne jamais le volant, sans même qu’il monte dans la BMW, se contentant d’envier du dehors son maître qui la possède (et semble le posséder lui aussi, d’ailleurs, sans qu’on puisse clairement déterminer pour quelles raisons (enfin, finalement, si : il le paie tout juste assez pour qu’il demeure à son service, et ce service consiste à l’admirer pour les magnifiques objets qu’il possède; par contrat, il le maintient dans un seuil de revenu suffisamment bas pour qu’il ne puisse acquérir les mêmes biens mais il l’habille néanmoins à son image : encravaté il attend son maître pour simplement porter un regard de connaisseur sur ce qui demeurera à distance. D’ailleurs, encore une fois, on doute fort que ceux qui achètent ces voitures soient posés devant leur télé à regarder la publicité; c’est encore une fois un spot qui montre à ceux qui le regardent ce à quoi ils n’accèderont jamais, se permettant même le luxe de mettre en scène leur regard sur l’objet, ainsi que sur le propriétaire qu’ils ne seront pas. Au moins savent il à qui s’identifier)).
A cette allure, la masse semble devoir être bien dressée, et on devine qu’on a là de quoi écrire une suite au Discours de la servitude volontaire.