Profitant des reliquats du budget 2009, c’est une sérieuse commande de livres que nous avons pu passer fin Octobre, et les cartons viennent de rejoindre le CDI, où nos documentalistes sont en train d’équiper ces nouveaux ouvrages.
J’ai tout de même eu le temps de prendre en photo ces arrivages, afin d’en dresser ici la liste, et indiquer ainsi aux élèves quels territoires de la pensée ils peuvent explorer depuis cette base de lancement qu’est le lycée.
Comme d’habitude, je me contente de prendre les livres dans l’ordre de la pile et d’en donner une rapide présentation. Il en va des livres comme des hommes : mieux vaut les rencontrer sans intermédiaires.
Cliquez sur la photo de la pile de livres pour voir les tranches en taille lisible.
Pourquoi j’ai mangé mon père, de RoyLewis (1960). Une lecture très ludique, pour commencer. En plein pléistocène, une famille d’homme qu’on considèrera depuis notre point de vue comme préhistoriques franchit en accéléré les étapes de l’évolution, de sorte qu’en trois générations, ce sont les découvertes essentielles qui caractérisent l’homme qui vont être effectuées : le feu, bien sûr, mais aussi la chasse, l’art, l’exogamie, les armes, le nomadisme. Evidemment, ces découvertes constituent aussi un déracinement que l’oncle de la famille n’aura de cesse de dénoncer par une formule que ce livre a rendue célèbre : « Back to the trees ! », retour qu’il préfèrera néanmoins ne pas pratiquer lui-même. Ce livre ne peut pas constituer à lui seul une réflexion suffisante sur le rapport de l’homme au monde qui l’entoure et à lui même. Cependant, il propose une enthousiasmante entrée en matière sur ces questions, dans la mesure où derrière l’humour se cache une érudition qui permet à Roy Lewis de tisser une trame logique, tant sur l’évolution technique que sur le questionnement moral de ces être qui inaugurent l’âge de l’homme conscient tout en se constituant, bien involontairement, un inconscient (Freud est lui aussi une influence importante du livre, le meurtre du père y tenant une place centrale, comme le laisse deviner le titre). Sans effort apparent, cette lecture permet donc de placer quelques problèmes en place, et d’en garder une image suffisamment efficace pour pouvoir l’utiliser comme guide sur un assez grand nombre de terrains de réflexion. Ajoutons que c’est Vercors, l’auteur des Animaux dénaturés qui est ici traducteur, et qui propose une intéressante préface à cet original récit).
L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau, Oliver Sacks (1985). Oliver Sacks est neurologue, et auteur de livres qui s’appuient sur ses observations cliniques. C’est alors à une exploration aussi étonnante que parfois inquiétante que ces livres nous convient, puisque les points de départ en sont le plus souvent les déficiences comportementales dues à des incidents neurologiques. Premier intérêt, au delà de la curiosité qu’une telle littérature peut susciter : dresser un tableau du comportement pathologique qui ne trouve pas son interprétation dans la psychanalyse, puisqu’il ne s’agit pas ici de névroses, ni de psychoses. Second intérêt : au fil des pathologies, Sacks en vient à poser la question de la santé, de sa définition, de ses limites et de ce qui permet de passer de l’observation des symptômes au diagnostic de la maladie et à son traitement. Enfin, c’est aussi une lecture qui permet de discerner la complexité des processus par lesquels nous produisons une représentation du monde, la fragilité de ces dispositifs, mais aussi leur plasticité. Dès lors, on saisit aussi mieux combien ils sont éloignés d’une relation immédiate aux choses.
La plus belle histoire du bonheur, André Comte-Sponville (2004). Notion au programme, objectif soi-disant visé par tous, concept central de l’histoire de la philosophie, le bonheur fait partie de ces noms dont on voit bien ce qu’ils désignent sans qu’on puisse pour autant en donner une définition claire. Ce qu’on peut craindre, évidemment, c’est que cette inaptitude à définir le bonheur empêche de se diriger de manière efficace vers lui. Ainsi, le bonheur nécessite t-il une méditation à son sujet, qui permette de le circonscrire mais aussi de le reconnaître dans les pensées qui, depuis l’antiquité, ont tenté de lui donner un visage. C’est ce projet que vise ce livre qui, tel une leçon, envisage le bonheur tel qu’il a été conçu à travers les siècles, et constate finalement à quel point notre propre temps est paradoxalement celui qui a le plus tenté de définir matériellement les conditions du bonheur, et celui au cours duquel les hommes s’en sentent les plus éloignés.
Une semaine de philosophie, Charles Pépin (2006). Et si on pouvait introduire aux grandes questions philosophiques en autant de leçons qu’il y a de jours dans la semaine ? On aurait tendance à dire que mieux vaut se méfier des projets d’exploration de la philosophie qui se donnent un ultimatum temporel pour s’accomplir. Ils sont souvent articulés sur une espèce de rentabilité qui s’accommode mal de l’exigence de détachement vis à vis du temps que réclame la philosophie. Cependant, Charles Pépin propose ici une retraite philosophique dont on imagine assez bien qu’elle puisse accompagner une semaine de vacances, au cours de laquelle on consacrerait ce temps à autre chose qu’à simplement reconstituer sa force de travail. Si le loisir est un temps qu’on peut consacrer à son propre épanouissement, alors ce livre est tout indiqué pour les périodes, nécessairement limitées, au cours desquelles nous bénéficions de ce rare loisir. Accessoirement, pour ceux qui ont un examen à passer, il est aussi, comme tous les livres qui condensent en peu de pages des problématiques essentielles, un élément de révision qui n’est pas dénué d’efficacité. A la différence des ouvrages qui veulent donner à leur lecteur une « teinture » de surface qui le rende séduisant aux yeux d’un correcteur, Une semaine de philosophie suscite une véritable réflexion, qui ouvre à une poursuite au delà de sa dernière page. On n’en demande pas plus à un livre d’initiation, et on en est trop souvent privé.
La montée de l’insignifiance, Cornelius Castoriadis (1994). « Ce qui caractérise le monde contemporain, c’est bien sûr les crises, les contradictions, les oppositions, les fractures, etc… mais ce qui me frappe surtout, c’est l’insignifiance. Prenons la querelle entre la droite et la gauche. Actuellement elle a perdu son sens. Non pas parce qu’il n’y a pas de quoi nourrir une querelle politique et même une très grande querelle politique, mais parce que les uns et les autres disent la même chose. Depuis 1983, les socialistes ont fait une politique, puis Balladur est venu, il a fait la même politique, puis les socialistes sont revenus, ils ont fait avec Bérégovoy la même politique, Balladur est revenu, il a fait la même politique, Chirac a gagné les élections en disant : « Je vais faire autre chose » et il fait la même politique. » (extrait de l’interview que Castoriadis accorda à Daniel Mermet, pour l’émission Là-bas si j’y suis, sur France inter. L’insignifiance, c’est la perte du sens. Or, politiquement, la perte du sens apparaît comme doublement préjudiciable : d’abord c’est la perte de sens du discours lui même, qui n’est plus écouté, ni cru, ni même évalué. Dès lors, l’usage de la parole politique devient vain, puisqu’il n’est plus ce qui va permettre de faire émerger ce en quoi on pourrait se reconnaître. Ensuite, c’est la perte de l’orientation : si tous les discours se valent dans leur universelle et feinte polémique, c’est que la politique ne vise plus aucun horizon. Elus au petit bonheur la chance, les politiques ne sont que l’expression de l’errance idéologique des citoyens. Ils naviguent à vue, consultent les sondages comme on questionnait les oracles, afin de plier leur action aux caprices du moment, quand l’action politique est en fait censée, y compris en démocratie, faire l’inverse. Castoriadis offre ici l’un des plus accessibles de ses livres et les entretiens avec Daniel Mermet sont relativement faciles à trouver.
Les bonheurs de Sophie, Dominique Janicaud (2002). Ecrit pour sa fille, qui allait entrer en Terminale, afin qu’elle s’initiât à cette discipline à laquelle tout est censé préparer, sans qu’on s’y sente jamais tout à fait prêt (même quand on la pratique, d’ailleurs), ce livre sera aussi le testament de Dominique Janicaud, frappé par la mort quelques jours après la fin de la rédaction de cette initiation. Trente leçons qui sont autant d’ouvertures à la réflexion. Ici encore, on échappe à la nécessaire efficacité de celui qui veut passer le moins de temps possible sur les questions qui peuvent « tomber » à l’examen; on privilégie au contraire l’investissement au long terme, car ce que mettent en place ces trente petits chapitres, ce n’est que l’ensemencement d’un jardin qu’il s’agira ensuite de cultiver.
Marx, (mode d’emploi), Daniel Bensaid, illustré par Charb (2009). Au moment où, la crise financière aidant, nombreux sont ceux qui soudainement se déclarent marxistes (Alain Minc, par exemple), il est peut être judicieux de mieux connaître cet auteur dont curieusement les analyses semblent très largement partagées sans que le soient, à la même hauteur, ses préconisations politiques. La période de disgrâce dont cet auteur a fait l’objet a au moins ceci de bon : on peut l’aborder désormais sans crainte d’être idéologiquement manipulé. Notre esprit critique est aiguisé, on sait assez bien à quoi on se confronte. C’est maintenant à un autre défi qu’on peut se confronter : rendre justice aux analyses de Marx. Or pour cela, encore faut il le connaître. Ce livre, très accessible et néanmoins évitant l’écueil d’une présentation simplificatrice, propose de découvrir Marx à travers des chapitres dont les titres semblent très « pratiques », très « concrets », mais qui permettent cependant de plonger assez profondément dans la pensée marxiste. Ajoutons que les illustrations de Charb sont simplement exactement telle qu’on peut les rêver dans un tel ouvrage. Seuls ceux qui n’ont jamais goûté à l’humour parfois féroce de Marx lui-même (on pense au traitement qu’il réserve à ceux avec qui il polémique dans la Sainte Famille, par exemple) trouveront ces illustrations déplacées.
La philosophie sur grand écran, Olivier Deckens (2007). Quoi de mieux, pour éclairer une caverne, qu’une lanterne magique ? On l’a compris, le cinéma est une source de projections inépuisable pour les concepts philosophiques. Mais le risque, c’est de sombrer dans une illustration pédagogique qui ferait sans doute une bonne initiation, mais produirait tout aussi indubitablement de mauvais films. Sans doute le cinéma devient il pleinement intéressant lorsqu’il prend conscience que la cavener elle même est cette lanterne magique qui produit les images tout en proposant de les dépasser. Cet ouvrage reprend les concepts qui sont au programme de terminale, pour leur consacrer, chacun un court chapitre qui est systématiquement constitué d’une présentation générale, d’un texte tiré de la tradition philosophique, et d’une séquence de film qui est ensuite brièvement commentée. On aimerait, parfois, un développement accru, en particulier sur le terrain des commentaires, tant des textes que des séquences. Cependant, pour le lecteur attentif, le livre agit comme un véritable programme de méditation, dont on sait que les premiers éléments, ceux qui vont provoquer le processus de pensée, sont ces textes, et ces séquences de films, dont la simple liste suffit à générer l’envie de s’y confronter sans plus attendre, pour voir ce qui en émergera. Ajoutons que le choix de films ainsi que, dans une certaine mesure, celui des textes, sort des sentiers battus.
Philosophie en séries; Thibaut de Saint Maurice (2009). Sur le même modèle que le précédent. Et chez le même éditeur. Ce sont les séries qui sont cette fois ci mises à contribution. Il se trouve que la série est un genre qui connait depuis quelques années un renouveau qui s’apparente quasiment à une renaissance du genre. L’ouvrage présenté ici en tire un parti philosophique d’autant plus aisément que les séries elles mêmes revendiquent cette influence. Les confrontations entre concepts et illustrations sont intéressantes. On regrettera simplement que les ancêtres des séries actuelles soient un peu délaissées, comme le sont les séries à petite audience. En somme, on sent le parti éditorial qu’il y a à tirer de la référence à Docteur House. Mais philosophiquement parlant, des séries à faible audience, comme La Petite mosquée dans la prairie, Hung ou Breaking Bad seraient tout autant pertinentes, sans oublier les titres plus anciens, tels que Clair de Lune, Mariés deux enfants ou Chapeau melon et bottes de cuir, pour n’en citer que quelques uns. Là où cet ouvrage pêche un peu, c’est qu’il donne finalement assez peu envie de découvrir de nouveaux univers, en dehors de ceux que le public, et donc le lecteur plébiscite d’ores et déjà. Mais s’il s’agit d’appuyer des processus de réflexion sur des éléments de culture déjà implantés dans la culture des élèves, et d’en saisir la profondeur, alors l’ouvrage est une réussite.
Le Maître ignorant, Jacques Rancière (1987). Peut-on apprendre sans donner de leçon ? Mieux : peut-on apprendre ce que soi même on ne connait pas ? Et, troisième question, déduite des précédentes : peut-on plaider pour une véritable égalité de l’intelligence, y compris entre enseignants et élèves ? Au dix-neuvième siècle, Joseph Jacotot, professeur de lettres exilé, parce que révolutionnaire, jeta les bases de ce qui fait aujourd’hui encore débat. Mais au delà d’une réflexion pédagogique, c’est à une méditation politique que convie Jacques Rancière dans ce livre passionnant : le pouvoir, l’autorité peuvent ils s’appuyer sur une inégalité de connaissance ? Et si non, que devient l’ordre public ? Le sous titre du livre (5 leçons sur l’émancipation intellectuelle) donne le ton sur son projet général.
La haine de la démocratie, Jacques Rancière (2005). Si la démocratie a longtemps constitué un idéal politique sacré que nul n’aurait osé attaquer intellectuellement (les seuls ennemis de ce régime étant alors des illuminés totalitaires, imposant leurs visions par la barbarie), l’état de grâce démocratique semble avoir pris fin, pour laisser la place à une attaque en règle dont les intellectuels sont les lames les plus effilées. Jacques Rancière s’attaque à son tour aux arguments de ceux qui ont pris la démocratie en haine, et tente de déceler quelles sont les véritables racines de leur critique. Ainsi, par contraste, ce sont les éléments essentiels de la démocratie qui apparaissent, loin des simplifications auxquelles nous ont malheureusement habitués ceux qui ont fait de la défense de ce régime une évidence qui ne réclamerait ni justification, ni analyse préalable. Ce travail de légitimation, Rancière l’effectue en éclaireur, dans ce court livre qui est particulièrement bienvenu dans les débats qui nous animent.
La Raison dans l’histoire, Hegel (introduction à des leçons données de 1822 à 1831). Cet ouvrage est en fait l’introduction d’un ensemble plus vaste, intitulé les Leçons sur la philosophie de l’histoire. Etonnamment, lorsqu’on le parcourt, on se rend compte qu’il s’agit d’une oeuvre qui, bien que Hegel en soit l’auteur, demeure lisible. C’est qu’en fait, l’écriture en est partiellement due au maître de l’idéalisme historique : le texte qu’on a entre les mains est une publication qui fut constituée à partir des manuscrits dont Hegel se servait pour mener ses leçons, et des prises de notes de ses étudiants. L’avantage de la leçon orale, c’est qu’elle est nécessairement plus soucieuse de pédagogie qu’un texte conçu pour être lu. Ainsi, La Raison dans l’histoire abonde en illustrations historiques, en reprises, en mises en perspectives, afin de ne pas perdre son auditoire. De quoi s’agit il en fait ? De mettre en évidence, tant logiquement qu’en s’appuyant sur une analyse des grands moments de l’Histoire de l’humanité, que celle-ci est un ensemble cohérent qui part d’un point A pour mener à un achèvement. Certes, ce mouvement n’est pas rectiligne, dialectique oblige, néanmoins, il constitue bel et bien un progrès, y compris lorsque celui ci n’est reconnu comme tel. Au lieu de concevoir comme on le fait souvent l’aventure humaine comme un prélude à un achèvement ultime dans l’au-delà, Hegel fait de l’Histoire la mise en place de ce qu’on appelle trop communément l’au-delà : celui-ci se constitue au fur et à mesure des progrès de l’Esprit, qui parvient à s’incarner de manière de plus en plus nette dans le devenir de l’Homme.
Opuscules sur l’histoire, Kant. Il s’agit ici de plusieurs textes courts à propos de l’histoire, envisagée comme un processus orienté vers une fin. Le coeur de ce recueil, c’est le plus célèbre de ces opuscules : l’Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique. Il n’est pas exclu qu’au moment où les logiques politiques semblent se resserrer autour de la nation, horizon apparemment indépassable des visées humaines. Pourtant, dans ce texte écrit en 1784, dès l’introduction, on pose une question qui semble dépasser les seules logiques locales : L’histoire peut elle être envisagée, en ce qui concerne l’espèce humaine, selon un plan déterminé de la nature ? Voila qui hisse le débat un peu plus haut. On verra dans notre propre épisode historique un effet de notre insociable sociabilité, un mouvement de balancier qu’on supposera provisoire, si les visées que propose Kant dans cet ouvrage sont bel et bien pertinentes. On ne peut en tous cas pas dire que ce petit livre soit d’actualité, puisque l’actualité semble ne pas l’avoir encore rejoint.
Le Livre des violences, Willima T. Vollmann (2009 pour la traduction française). Nous serions américains, nous serions sans doute la proie du mépris intellectuel des européens en général, et des français en particulier. Réputés ignares, bouffeurs de malbouffe, nous croupirions dans de réputés trop mous canapés devant des télévisions dont les programmes feraient notoirement la part belle aux inepties entrelardées de publicité. Curieusement, cette caricature semble ne pas resister aux réalités éditoriales : Outre-Atlantique, cette oeuvre au long cours de cet écrivain majeur des Etats Unis contemporains (et donc, partant, du monde) est éditée dans son intégralité, soit sept épais volumes, fruits d’une vingtaine d’années de recherche et développements sur l’histoire humaine envisagée du point de vue de la violence. L’ouvrage, comme souvent chez Vollmann, va donner une migraine à nos documentalistes au moment de le classer, puisqu’il s’agit tout autant de philosophie, de sociologie, d’anthropologie que de littérature (et voila bien quelque chose que les écrivains français ne semblent absolument pas soupçonner, que cela puisse relever, aussi, de la littérature). En France, il faudra se contenter d’une synthèse de l’oeuvre en un seul volume, les éditeurs ayant saisi, au moment de lancer un traducteur sur ce monstre éditorial, qu’aucun public n’existait sur le vieux continent, celui où tout le monde est instruit et avide de lecture, pour cette somme sur la violence. le sous titre, « Quelques pensées sur la violence, la liberté et l’urgence des moyens » est, ni plus ni moins, qu’une problématique. Quant au plan de l’ouvrage, la première moitié de ses 944 pages constitue une analyse générale et théorique du recours à la violence, quand sa seconde moitié est constituée de cas particuliers et illustrations historiques. On évite d’écrire que quelque lecture que ce soit doive être considérée comme nécessaire. Ca nous brûle pourtant les doigts.
Pourquoi êtes vous pauvres ? William T. Vollmann (2008 pour la traduction française). Vollmann aurait lancé son projet sur l’étude de la violence sans s’attacher tout particulièrement à sa forme insidieuse contemporaine, l’inégalité économique, on aurait été déçu, et on aurait pu lui en vouloir. Soyons rassurés, pendant plusieurs années, il a parcouru le monde, s’installant successivement dans tout ce que le monde fait de plus pauvre en matière de quartiers, de villes, de régions, de pays, de continents quasi entiers parfois. Ce ne sont pas les candidats qui manquent à la question qu’il pose à ses voisins d’infortune : Pourquoi êtes vous pauvres ? Ramener la situation économique des indigents non pas à une condition, mais à un effet de causes qui pourraient, si on s’y penchait un peu, être identifiées, voila le projet de nouveau à la fois littéraire, sociologique, philosophique que se fixe Vollmann dans cet ouvrage. Au delà des portraits, des dialogues, c’est aussi à une analyse introspective qu’il se livre, et sans doutes les pages les plus saisissantes sont elles celles où il se confronte à la peur que lui même éprouve face aux pauvres. Le chapitre intitulé « Je sais que je suis riche », qui s’ouvre sur la définition suivante de la richesse « ma peur envers les gens que définis comme pauvres me définit en partie comme riche » donne le là de cette écriture en permanence consciente du rapport qu’elle entretient avec son objet. Peu de pages aussi aigues semblent avoir été écrite sur ce qui demeure une lutte de classes.
Joli programme de lecture, n’est ce pas ? Ce n’est qu’un début, j’ai encore deux autres piles d’ouvrages à chroniquer.